Droit et société - Relire Giddens - 1 - 70

RELIRE GIDDENS. ENTRE SOCIOLOGIE ET POLITIQUE

2.1.3 – Le renouvellement de la théorie du pouvoir Le pouvoir a toujours intéressé Giddens 35. Dès la fin des années 1960, il posait les jalons de sa propre théorie du pouvoir. Très vite, il s’est éloigné des conceptions traditionnelles : celles de l’héritage marxiste – car, pour lui, le pouvoir n’est pas nécessairement lié au conflit, et l’oppression, pas intrinsèque au pouvoir 36 ; celles issues du structuralisme – qui mettent en évidence les aspects structurels du pouvoir, en le prenant, comme dirait François Chazel, comme ‘otage de la structure’ 37 ; celle de Weber 38 – qu’il considère insuffisante, en ce qu’elle suppose que les relations de pouvoir comportent inévitablement des conflits d’intérêts incompatibles ; celle de Parsons – où le pouvoir est perçu comme une ‘extension du consensus’, et ne sert qu’à renforcer sa théorie générale du système social 39, l’empêchant de le concevoir comme ‘ca35. Comme l’attestent les pages consacrées à ce thème dans son livre de 1976, New rules of sociological method, loc. cit. ; dès avant, il avait donné, avec Philip STANWORTH, Elites and Power in British Society, Cambridge/New York, Cambridge Univ. Press, 1974 (b) ; cf. également son article « ‘Power’ in the Recent Writings of Talcott Parsons », dans Anthony GIDDENS, Politics, Sociology and Social Theory, Cambridge, Polity Press 1995 (a), p. 199-215 (voir aussi la traduction portugaise, « ‘Poder’ nos escritos de Talcott Parsons », dans Política, Sociologia e Teoria Social, op. cit., p. 241-261) ; ou encore les réflexions qui se trouvent dans son livre The Class Structure of the Advanced Societies, op. cit., p. 121-122. Dans ce livre, Giddens a établi une distinction entre la médiation ‘institutionnelle’ du pouvoir et la médiation du pouvoir en tant que contrôle. Voir aussi sur ce point, François CHAZEL, v° « Pouvoir », dans Traité de Sociologie, Raymond BOUDON (dir.), Paris, PUF, 1992, p. 195-226, plus précisément p. 213. 36. Cf. GIDDENS, La constitution de la société, op. cit., p. 318. 37. François CHAZEL, « Pouvoir », loc. cit. 38. Cf. GIDDENS, « ‘Poder’ nos escritos de Talcott Parsons », op. cit., p. 247. 39. Ibid., p. 256. La conception parsonienne du pouvoir sert à renforcer sa propre thèse fondamentale, selon laquelle les sous-systèmes qui forment le système social – le sous-système économique (fonction d’adaptation), le sous-système politique (fonction de réalisation des fins collectives), le sous-système normatif (fonction d’intégration) et le sous-système de valeurs (fonction de maintien des modèles fondamentaux de la société) – comportent la même structure logique, répondent aux mêmes conditions générales et obéissent aux mêmes principes d’ensemble. En partant de l’économie, Parsons met en évidence le rôle symbolique de l’argent qui, doté d’un langage spécialisé, sert à mesurer la valeur des objets (mesure of value), en tant qu’outil symbolique et généralisé, instrument d’échange (medium of exchange), dénué luimême de toute valeur. Son hypothèse principale est, que, en raison de la correspondance logique des systèmes, l’argent doit avoir un ‘élément similaire’ dans le système politique et dans le système normatif : cet équivalent s’appelle pouvoir dans la sphère politique et influence dans le domaine normatif. L’argent, le pouvoir et l’influence sont ainsi des mécanismes caractéristiques du système social ; s’ils opèrent dans des sous-systèmes déterminés, avec des rôle spécifiques, ils ont néanmoins une nature identique. Cette vision rejette toute conception générale et diffuse du pouvoir, qui sera défini par rapport à la fonction globale du système politique, c’est-à-dire la réalisation des fins collectives. Pour Parsons, le pouvoir est la « mise en œuvre d’une ‘capacité généralisée’ : cette capacité consiste à assurer l’accomplissement d’obligations liant les unités sociales, légitimées par leur importance pour les fins collectives ». Par sa continuité, le pouvoir permet au système politique de remplir sa fonction primordiale d’achèvement des buts collectifs ; il assure l’efficacité de l’action politique. Or, souligne François Chazel, dire que le pouvoir est une ‘capacité généralisée’, c’est reconnaître son caractère symbolique qui, pour exister, a besoin de l’adhésion unanime des acteurs. Le passage au plan des symboles implique, dans le contexte social où opère le pouvoir, le passage au plan de la légitimité. Cet auteur dénonce alors une conséquence inattendue de l’argumentation parsonienne : « faire de la légitimité un trait permanent et caractéristique du pouvoir » (François CHAZEL, « Réflexions sur la conception parsonienne du pouvoir et de l’influence », dans Re-

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 55, 2011

68
Droit et société - Relire Giddens - 1

Table des matières de la publication Droit et société - Relire Giddens - 1
