Droit et société - Relire Giddens - 1 - 80

RELIRE GIDDENS. ENTRE SOCIOLOGIE ET POLITIQUE

priées et dans la relation avec une situation ». Il s’oppose « d’un côté [au] mécanisme, qui tient que l’action est l’effet mécanique de la contrainte de causes externes ; de l’autre, [au] finalisme qui, avec la théorie de l’action rationnelle, tient que l’agent agit de manière libre, consciente […] » 98. À partir de ces positions, comment ces auteurs ont-ils présenté le débat sur les règles, leur force structurante dans le monde social, et l’usage qu’en font les acteurs ? On se trouve, ici, face à une problématique qui s’avère cruciale pour la sociologie du droit. 2.2.2 – Sur les règles En quoi Wittgenstein a-t-il inspiré les thèses de Bourdieu et Giddens sur les règles ? En insistant sur les dimensions non linguistiques du langage, il montre que, en parlant, nous ne faisons pas qu’énoncer des faits ; le langage constitue un éventail de jeux où chacun possède ses propres pièces et ses propres règles. Il reprend alors la comparaison énoncée par Saussure, pour montrer que, de même que dans le jeu d’échecs, la valeur d’une pièce est donnée par l’ensemble de ses relations aux autres pièces. De même, la valeur d’un mot n’a de sens que dans le cadre du ‘jeu’ dans lequel il apparaît. Parler une langue fait partie d’un ensemble d’activités communes, d’une manière de vivre en société, ce que Wittgenstein appelle une ‘forme de vie’. Autrement dit, il faut analyser les usages du langage à partir des contextes des formes de vie, car les règles d’un langage sont des procédures appliquées profondément engagées dans le cours des activités de la vie quotidienne 99. Les formes du langage ne sont pas réductibles à un genre unique. Cela suppose que l’on s’intéresse à une multiplicité d’outils du langage, et notamment à la façon dont ils sont utilisés : « comprendre un langage signifie être maître d’une technique » 100. Pour comprendre le langage dans sa complexité, il faut construire un modèle linguistique ; mais ce modèle ne sert qu’à éclairer le ‘jeu’ qui se déroule dans le langage, et à mettre en évidence les règles d’utilisation. Le langage est un système de signes, dont la ‘grammaire’, à savoir l’ensemble des règles qui le disciplinent, est arbitraire et non susceptible de justification. Le sens des expressions linguistiques n’est plus, pour Wittgenstein, indexé sur les ‘représentations’, mais se trouve dans l’usage discipliné par des règles, dans les expressions. Le problème de l’accord, voire de l’adéquation entre le langage et le monde, se trouve alors déplacé vers un cadre exclusivement grammatical. Qu’est-ce, dans ce cadre, qu’une règle ? Qu’est-ce qu’appliquer une règle ? Ces questions ne sont pas ‘linguistiques’, mais liées aux enquêtes grammaticales sur l’usage du langage, la fonction des ‘jeux du langage’, la critique du ‘mentalisme’ 101. Au-delà de la connaissance des règles arbitraires qui forment
98. Cf. respectivement Jeffrey C. ALEXANDER, op. cit., p. 39 (cf. plus précisément aux p. 40 et 41), Pierre GUIBENTIF, Foucault, Luhmann, Habermas, Bourdieu, op. cit., p. 257 et s., et Pierre BOURDIEU, Méditations pascaliennes, (1997), Paris, Le Seuil, 2003, p. 215 et p. 200. 99. Cf. GIDDENS, La constitution de la société, op. cit., p. 70. 100. Ludwig WITTGENSTEIN, Philosophical Investigations, Oxford, Blackwell, 1972, p. 59. 101. Cf. Robert MAGGIORI, « Wittgenstein, mode d’emploi, bis », dans le quotidien Libération, 26/27 septembre 1987, p. 31-32.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 55, 2011

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