Droit et société - Relire Giddens - 1 - 82

RELIRE GIDDENS. ENTRE SOCIOLOGIE ET POLITIQUE

conversation, soit dans une interaction. Ces règles ‘profondes’ contrastent avec d’autres qui, bien qu’elles aient une grande portée, n’ont qu’un impact superficiel sur la vie sociale 110. Contrairement à d’autres analystes qui estiment que les règles plus abstraites, comme les lois, sont celles qui marquent le plus la structuration de la vie sociale, Giddens considère que des règles ‘superficielles’ qui se manifestent dans des actions apparemment sans importance de la vie courante, et qui sont mobilisées au quotidien, ont un impact bien plus profond sur les conduites sociales 111. Quant aux règles ‘tacites’, Giddens affirme qu’elles se manifestent, à travers l’action, dans la production et la reproduction des pratiques sociales. Les acteurs savent ‘comment faire’, sans nécessairement savoir comment dire ce qu’ils font. Ainsi la connaissance des règles, comme la façon dont elles sont appliquées et suivies, est liée à la ‘conscience pratique’ des acteurs, et se manifeste notamment dans leur compétence spécifique. Toutefois, dans la mesure où les acteurs interviennent dans un ensemble indéterminé de circonstances sociales, la simple connaissance de ces règles ne permet pas de prévoir toutes les situations 112. Concernant les règles ‘discursives’, Giddens affirme que la simple formulation discursive d’une règle constitue déjà une interprétation de cette règle. C’est-à-dire que le seul fait d’une formulation peut modifier l’usage de la règle ou la façon dont on va l’employer. Les lois sont ainsi l’exemple typique de ce type de règles formulées de façon discursive, formellement codifiées et fortement sanctionnées. Mais, comme l’a montré Garfinkel, il ne faut pas sousestimer la force des sanctions appliquées de façon informelle dans le cadre des pratiques ordinaires de la vie quotidienne. Les expériences sur la confiance menées par cet auteur illustrent de façon éloquente à quel point, dans une conversation, des éléments de réponse tout à fait mineurs peuvent être investis d’une force incroyable. À partir de ce constat, Giddens précise que les propriétés structurantes des règles doivent être étudiées au préalable en relation avec la formation, le maintien, la conclusion et la ‘reformation’ des ‘rencontres’. Dans ces contextes d’interaction, les procédures et les tactiques déployées par les acteurs pour garantir leur sécurité ontologique semblent particulièrement importantes 113. Qu’en dit Bourdieu ? Il n’est pas question, ici, d’être exhaustif, tant il y a de choses à observer sur sa théorie des règles. L’objet propre de cette analyse ne permet pas de procéder à un examen global de sa pensée sur ce point 114. On fera, néanmoins, à cet égard, six remarques de portée générale, susceptibles d’établir un parallèle avec Giddens. – D’abord, cette observation que, s’ils partent tous deux de la philosophie de Wittgenstein pour fonder leurs propres théories des règles, ce qui intéresse
110. 111. 112. 113. 114. GIDDENS, La Constitution de la société, op. cit, p. 71. Ibid., p. 72. Ibid., p. 71-72. Ibid., eod. loc. Jacques COMMAILLE (coord.), dossier « La place du droit dans l’œuvre de Pierre Bourdieu », dans revue Droit et Société, n° 56-57, 2004.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 55, 2011

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