Droit et société - Relire Giddens - 1 - 89

CONVERSATIONS FRANÇAISES

rationalités des individus 146, mais il faut également saisir les ‘effets de composition’, c’est-à-dire la façon dont l’ensemble des actions individuelles s’agrège pour créer un phénomène social. Toutefois, ces ‘phénomènes de composition’ peuvent générer des ‘effets pervers’, des effets ‘inattendus’, opposés aux intentions des acteurs. Pour lui, les ‘acteurs individuels’ ne sont pas seulement des personnes, mais toute unité collective pour autant qu’elle dispose d’un pouvoir d’action collective. Les critiques de l’individualisme de Boudon ont signalé, dans leur ensemble, que cette approche a délaissé l’analyse des structures sociales, ainsi que celle des institutions. Boudon s’en défend : s’il considère que l’action individuelle doit être au cœur du raisonnement sociologique, cela n’implique pas pour autant qu’il soit indifférent aux résultats de la juxtaposition de la structure et de l’action. Il prône alors un individualisme de type non atomique mais structurel 147. On pourrait en déduire une forte proximité avec les positions de Giddens, mais l’idée de Boudon des juxtapositions de la structure et de l’action mène à une vision dualiste, que la théorie de la structuration a l’intention de dépasser. 2.3.1 – Sur l’individualisme méthodologique Pour Giddens, l’individualisme méthodologique, s’il s’agit d’un vieil ennemi ‘naturel’ des conceptions qui portent sur une ‘explication structurelle’ 148, n’en constitue pas pour autant une ‘autre voie’. Il est surtout l’équivalent méthodologique du dualisme ontologique qui oppose le sujet individuel et l’objet sociétal en sciences sociales. Dans son débat avec l’individualisme méthodologique, il rappelle les critiques adressées à ce courant par Steven Lukes, qui a voulu ‘désamorcer’ ses principales assertions, à savoir : l’atomisme social est un truisme car les phénomènes sociaux ne s’expliquent qu’à partir de l’analyse des conduites individuelles ; les paramètres structurels peuvent se réduire à des produits de l’agrégation des propriétés des personnes individuelles ; seules ces dernières sont réelles et, de ce fait, tous les concepts se référant à des propriétés collectives ou au système social ont un caractère abstrait, construit ; il ne peut y

146. Dans les années 1990, Boudon a progressivement élargi le spectre de son analyse, allant audelà d’un individualisme méthodologique fondé sur une approche de la théorie de l’acteur rationnel standard inspirée de l’économie. Alors que, dans le cadre de la rationalité instrumentale, ce qui compte, dit-il, c’est la maximalisation de l’utilité par l’acteur, il convient de tenir compte, dans l’action individuelle, des croyances, qui ont aussi leur importance. Et de distinguer la rationalité instrumentale de la rationalité axiologique et de la rationalité cognitive, ce qui permet de spécifier les types de choix opéré par les acteurs, respectivement, en ‘optimaux’, ‘satisfaisants’ ou ‘éthiques’, selon la force des informations dont ils disposent. Cf. p. ex. Raymond BOUDON, « Les paradoxes du vote et la théorie de la rationalité », dans Revue française de sociologie, XXXVIII/2, 1997. Comme le notent J.-P. DELAS et B. MILLY, son évolution le conduit à s’intéresser moins au modèle analytique de la rationalité en finalité qu’à celui de la rationalité en valeur (op. cit., p. 386). Boudon s’engage alors vers une sociologie à finalité cognitive, plus soucieuse de vérité que d’utilité (Ibid., p. 389). 147. Cf. Raymond BOUDON, Effets pervers et ordre social, Paris, PUF, 1977, p. 3-4. 148. GIDDENS, La constitution de la société, op. cit., p. 273.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 55, 2011

Droit et société - Relire Giddens - 1

Table des matières de la publication Droit et société - Relire Giddens - 1