Droit et société - Relire Giddens - 1 - 90

RELIRE GIDDENS. ENTRE SOCIOLOGIE ET POLITIQUE

avoir de lois dans les sciences sociales, à l’exception de celles concernant les dispositions psychologiques des personnes individuelles 149. Pour Lukes, ces thèses ne sont pas crédibles. La première, parce qu’elle est une banalité, et sans effet : affirmer que ‘la société se compose de personnes’ est une ‘proposition triviale sur le monde’ qui ne peut être vraie que sur le plan analytique, c’est-à-dire en vertu de la signification des mots. Les autres assertions sont également fausses : ne pas pouvoir analyser des relations de parenté – comme un mariage entre cousins croisés, par exemple – sans devoir faire appel à la compétence des individus ne signifie pas que de telles relations ne puissent s’expliquer qu’en fonction des attributs des personnes prises dans leur individualité. Par ailleurs, rien ne justifie que l’on soutienne que seules les personnes sont observables de façon directe, idée associée au behaviorisme pour lequel seul l’observable est réel. Quant à la dernière proposition, cet auteur affirme que, si les généralisations ne sont pas absentes des sciences sociales, elles n’ont pas la même forme logique que les lois universelles des sciences de la nature. Lukes a été, néanmoins, obligé de reconnaître que ces arguments n’ont pas ‘désamorcé’ l’individualisme méthodologique, dont la force principale réside notamment dans l’explication 150. Mais Giddens : quel est donc son positionnement par rapport à l’individualisme méthodologique ? Pour lui, les adeptes de ce courant, s’ils ont raison de trouver suspect que la sociologie structurelle sous-estime la compétence des agents humains, s’ils insistent sur le fait que les ‘forces sociales’ ne sont que des combinaisons de conséquences intentionnelles et non intentionnelles d’actions entreprises dans des contextes précis, ont cependant tort de réduire les événements sociaux à des descriptions fondées sur des prédicats individuels. Ainsi, dit-il, la sociologie structurelle et l’individualisme méthodologique ne forment pas une alternative, au sens où l’entend Boudon. « L’acceptation de l’une n’entraîne d’aucune façon le rejet de l’autre » 151. Giddens affirme que préciser la nature des contraintes structurelles et reconnaître leur importance n’implique pas qu’il faille succomber aux attraits de la sociologie structurelle ; par ailleurs, un tel refus n’implique pas non plus qu’il faille accepter l’individualisme méthodologique 152. Et pourtant, lorsqu’il aborde la problématique des conséquences non intentionnelles de l’action, il intègre à sa théorie de la structuration des notions classiques de la sociologie, depuis le fonctionnalisme de Merton et ses ‘conséquences non anticipées de l’action sociale finalisée’, jusqu’à l’individualisme méthodologique de Boudon et ses ‘effets pervers’ 153. Et, dans la mesure où c’est, précisément, par les notions d’’effets pervers’ et de ‘contradictions structurelles’, que cet auteur établit un véritable dialogue

149. Ibid., p. 274. 150. Steven LUKES, « Methodological individualism reconsidered », dans ID., Essays in Social Theory, London, Macmillan, 1977, p. 177-186 (apud GIDDENS, « Note critique : la ‘sociologie structurelle’ et l’individualisme méthodologique », dans La constitution de la société, op. cit.). 151. GIDDENS, La constitution de la société, op. cit., p. 280. 152. Ibid., p. 37. 153. Cf. Philippe CORCUFF, Les nouvelles sociologies, op. cit., pp. 51-52.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 55, 2011

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