Bibliothèque droit romain - Conserver l'ordre constitutionnel (XVIe/XIXe) - 435

VERS UNE POSSIBLE CONSERVATION DE L’ORDRE CONSTITUTIONNEL

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confondu tous les pouvoirs et détruit l’indépendance des corps judiciaires »304. Et le Sénat de dénoncer les guerres coûteuses qui ont « mis le comble aux malheurs de la patrie »305 alors même que l’Empereur avait juré en 1804 « de gouverner dans la seule vue […] du bonheur […] du peuple français »306. Or la Constitution de 1804 ne permet pas explicitement au Sénat de sanctionner l’Empereur fautif. L’idée qu’il y aurait entre l’Empereur et la Nation un pacte par lequel le peuple souverain remettrait le pouvoir à l’Empereur sous la condition qu’il l’exercerait dans l’intérêt général avait été agitée en 1804 par plusieurs membres du Sénat et du Tribunat. C’est volontairement qu’elle ne fut pas alors retenue. Le pacte dont argue le « Sénat conservateur » dans le décret du 3 avril 1814 n’existe pas, même si Napoléon a pu contribuer à en enraciner le mythe dans les esprits en l’invoquant de temps à autre307. Pour attester l’existence de ce pacte, le Sénat se sert du serment prêté par l’Empereur lors de son couronnement, oubliant que rien n’est prévu dans la Constitution pour sanctionner un manquement de l’Empereur à ce serment. Reprochant à Napoléon d’avoir « violé le serment prêté à son avènement au trône », le Sénat affirme que le contrat qui liait l’Empereur et la Nation est rompu. Or « le monarque n’existe qu’en vertu de la Constitution et du pacte social », ce qui permet au Sénat de conclure que « le gouvernement impérial établi par le sénatus-consulte du 28 floréal an XII, a cessé d’exister »308 : « Napoléon Bonaparte est déchu du trône, et le droit d’hérédité établi dans sa famille est aboli », juge-t-il, écartant sans la discuter l’hypothèse d’une régence de Napoléon II309. Si le réquisitoire dressé par le Sénat à l’encontre de Napoléon Bonaparte est étayé par des faits indiscutables, la conclusion n’en est pas moins inconstitutionnelle. En admettant que le Sénat ait pu arguer d’un manquement grave au serment impérial pour constater la rupture d’un contrat supposé liant Napoléon au peuple français et prononcer sa déchéance, il aurait dû proclamer le règne de Napoléon II et procéder à l’application des dispositions constitutionnelles consacrées à la Régence, dispositions détaillées au titre IV de la Constitution de 1804. Celle-ci aurait été alors confiée au prince français désigné par l’Empereur (article 19), ou « à défaut de désignation de la part de l’Empereur », elle aurait été « déférée au prince le plus proche en degré, dans l’ordre d’hérédité » (article 20), c’est-à-dire au prince Joseph Bonaparte. L’inconstitutionnalité de la décision du Sénat confirme que le décret du 3 avril 1814 n’est pas seulement la décision d’une juridiction constitutionnelle et que cet aspect, pour être le plus visible, n’en est pas pour autant le plus décisif. De fait, le décret du 3 avril 1814 ne se contente pas de prononcer la déchéance de l’Empereur. En déclarant et décrétant que le gouvernement impérial a cessé d’exister, ce décret s’insère dans une procédure constitutionnelle qui prépare l’adoption par le Sénat d’une nouvelle constitution.
304. Cette indépendance était garantie par l’article 68 de la Constitution du 22 Frimaire an VIII (13 décembre 1799 : « Les juges, autres que les juges de paix, conservent leurs fonctions toute leur vie, à moins qu’ils ne soient condamnés pour forfaiture, ou qu’ils ne soient pas maintenus sur les listes d’éligibles ». Cependant, cette indépendance avait déjà été limitée dans la Constitution de 1802 du fait du système qui soumet les juges au contrôle d’une cour de Cassation dont les membres sont nommés par le Sénat sur proposition du premier Consul, permettant à la cour de les mander et de les suspendre, « pour cause grave » (articles 78 à 85 du sénatus-consulte organique du 16 thermidor an X ; 4 août 1802) 305. Décret du 3 avril 1814, A.P., 2e série, t. XII, p. 10. 306. Constitution du 28 Floréal an XII ; 18 mai 1804, article 53. 307. Bluche, Le Bonapartisme ; aux origines de la droite autoritaire, N.E.L., pp. 30-31. 308. Décret du 3 avril 1814, A.P., 2e série, t. XII, p. 10. 309. Décret du 3 avril 1814, A.P., 2e série, t. XII, p. 10.
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