Bibliothèque droit romain - Conserver l'ordre constitutionnel (XVIe/XIXe) - 60

CONSERVER L’ORDRE CONSTITUTIONNEL (XVIe-XIXe SIÈCLE)

mandements d’un prince, d’un peuple, d’une seigneurie, que les faire passer par l’avis d’un sage conseil, d’un sénat, d’une cour »,162 remarque La Roche-Flavin qui ajoute « car les sujets voyant les édits et mandements passer, contre les résolutions du conseil, sont induits à les mépriser : et du mépris des lois vient le mépris des magistrats, et puis la rébellion ouverte contre les princes, qui tire après soi la subversion des États »163. L’argument a son prix. Le Parlement de Paris en use avec tact, rappelant au prince qu’il s’expose, chaque fois qu’il ignore ses avis, à voir ses ordonnances méconnues, ses ordres bafoués, son autorité menacée par la sédition car « la Justice retient les peuples en l’obéissance du Roy comme au contraire l’Injustice fait la désobéissance et rébellion dont procèdent les altérations et subdivisions de l’État »164. Et Guillaume Du Vair, au lendemain de la journée des barricades de 1588, de renchérir en s’adressant à « ceux qui par violence ont étouffé la légitime liberté de cette compagnie, et nous ont ôté la seule voix qui nous restait pour leur représenter les plaintes et soupirs du pauvre peuple affligé » : éprouvez, leur dit-il « combien la licence d’un peuple débauché est plus rude et insolente que n’étaient nos humbles remontrances »165. Le Parlement n’en appelle plus aux vertus du monarque, il insiste sur son intérêt bien entendu. Il montre qu’en agissant de manière injuste le prince ébranle la légitimité même de ce pouvoir que Dieu lui a donné pour faire régner la Justice. « Est à craindre […] que par ce moyen on rende le Roi odieux à son peuple »166 menace le Parlement de Paris, en 1581, en un temps où les relations entre le Roi et les parlementaires se sont dégradées. Un roi injuste est-il encore un Roi ? Il n’est plus qu’un tyran. Ce raidissement résulte de ce que le Parlement a la conviction de rappeler par ses remontrances au roi mortel la volonté du Roi immortel et infaillible. De la sorte, il suit « la volonté des roys », selon la formule du premier président de Saint-André. Dès lors, il est porté à considérer que ses avis lient le roi sans avoir pour autant le sentiment d’empiéter sur les pouvoirs du Roi. En voulant faire plier le roi devant ses remontrances, le Parlement, loin de travailler à la naissance d’une monarchie mixte, croit servir cette monarchie absolue tempérée par la Justice, la Religion et la tradition qu’est la royauté française. Pour être pleinement opérante, une telle idée supposerait que le Parlement soit capable de dégager la véritable volonté royale, de dire ce qui est juste, sans jamais se tromper, qu’il soit en un mot infaillible, ce qui ne peut pas être. À l’instar du roi, les membres des Parlements ne sont eux aussi que des êtres de chair. Ils ne sont infaillibles ni individuellement ni collectivement. Ils peuvent errer. N’ont-ils pas enregistré le traité de Troyes le 30 mai 1420, au mépris de la coutume successorale et des ordonnances de 1375, 1403 et 1407 ? Ils peuvent se tromper sur ce qui est juste. Pis encore, ils peuvent trouver bon pour le service du Roi ce qui n’est bon en réalité que pour leurs intérêts personnels. Ils peuvent profiter de la faiblesse de l’autorité royale, « de la minorité des rois » ou de « temps de nuages et de divisions domestiques » pour « s’ingérer témérairement dans le secret et la
162. La Roche-Flavin, Treize livres des Parlemens de France, p. 638. 163. La Roche-Flavin, Treize livres des Parlemens de France, p. 639. 164. Remontrances du 9 juin 1581, B.N.F. ms. fr. 10939, p 310, recto/ verso. 165. Guillaume Du Vair, « Actions et traités oratoires après les barricades sur ce que l’on propose au Parlement de la part de la ville, de s’unir avec le peuple, et d’aviser au bien public et de l’État », Œuvres, 1619, p. 1. 166. Remontrances du 9 juin 1581, B.N.F. ms. fr. 10939, pp 311, verso/ 312 recto.

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