Bibliothèque droit romain - Conserver l'ordre constitutionnel (XVIe/XIXe) - 63

L’ORDRE CONSTITUTIONNEL DE LA MONARCHIE DE FRANCE

Ainsi, ce constitutionnalisme coutumier s’enrichit sous le règne d’Henri III de l’affirmation, par le Parlement de Paris, d’une véritable hiérarchie des normes, distinguant les lois du Roi et les lois du royaume, distinction suggérée un demi-siècle plus tôt par Claude de Seyssel et reprise par le Chancelier L’Hospital en 1562177. Le premier président Christophe de Thou affirme le 4 mars 1575, à propos de l’inaliénabilité du Domaine : « Il y a deux lois. La Loy des Roys. La Loy du Royaume. Quand à la loy que les Roys font, elle est muable, et peut estre changée, selon que les affaires le requièrent, et l’inclination des Roys pour la variété des temps et circonstances, si incommodité y a les muent et changent comme bon leur semble. Mais quant à la loy du royaume qui a esté devant les Roys : elle sera éternelle et perpétuelle »178. Le 4 juillet 1581, il déclare, à propos de vingt-six édits bursaux, que « selon la loi du roi, qui est son absolue puissance, les édits pouvaient passer, mais que selon la loi du royaume qui était la raison et l’équité, ils ne devaient ni ne pouvaient être publiés »179. Son successeur, Achille de Harlay tient le même discours en 1586, opposant les lois « que nous appelons royales » et qui « peuvent être changées par les Roys » et « les loix du royaume » qui sont « immortelles et ne peuvent être estre changées, immuées, variées ny altérées pour quelque cause que ce soit »180 avant de placer la vérification de la loi au sein du Parlement parmi les lois du Royaume. De Thou et Harlay décrivent ainsi une hiérarchie des normes, et s’ils reconnaissent que le prince est délié des lois ordinaires, ils n’en affirment pas moins qu’il est soumis au respect du Droit, que la volonté du Roi, pour être toujours légale, doit, pour être légitime, respecter l’ordre constitutionnel et respecter les instruments par lequel le Parlement en assure la garde. Ainsi, bien que le Roi ait le dernier mot, la vérification effectuée par les Parlements, venant après celle qu’effectue le Chancelier, s’avère d’une efficacité rare. Elle tend à donner, dans les faits, le dernier mot au Droit. Le caractère intangible des lois du royaume, expressions d’un ordre naturel voulu par Dieu, s’impose au Roi législateur avec une force absolue, qui ne se peut comparer dans nos sociétés contemporaines qu’aux principes de nature supra-constitutionnelle. Personne ne peut changer les lois fondamentales du royaume, pas même le Roi, tenant son Lit de Justice entouré des princes du sang, des pairs du royaume, des conseillers de son Parlement et des principaux notables de son royaume. Deux obstacles protègent, en effet, l’ordre constitutionnel du royaume des atteintes éventuelles du monarque. D’une part, l’importance de la tradition dans une société qui révère l’expérience des pères et voudrait se figer dans un présent éternel, reflet de l’éternité divine. D’autre part, l’absence de pouvoir constituant dans l’ancienne France. S’il devait y avoir un pouvoir constituant, ce serait Dieu qui
177. « Il y a deux sortes de loys, explique-t-il aux membres du Parlement réunis à Saint-Germain en janvier 1562, aux unes l’on y peult déroger sans contrarier aux ordonnances de Dieu, et celles-là doivent demeurer inviolables » (Chancelier L’Hospital, Harangue et Proposition de M. le Chancelier faite en l’assemblée des Présidents et conseillers des cours de Parlement, à Saint-Germain, en janvier 1561 (ancien style), ms. fr. 2763, folio 122). 178. De Thou, « Remontrances faites au Roy par le Cour de Parlement, sur plusieurs édits du 4e mars 1575 », Remontrances faites aux Rois de France par les Parlements depuis 1539 jusqu’en 1630, B.N.F., Manuscrits français 4398, p. 397 verso. 179. L’Estoile, Journal d’Henri III, 1581-1586, p. 12. À cette occasion, L’Estoile approuvant la remontrance du Parlement, conclut : « Le Chancelier Birague qui n’est pas Chancelier de France mais Chancelier du roi de France, par commandement de S.M. les fist publier incontinent ». 180. Achille de Harlay, Harangue prononcé le 15 juin 1586, in Guillaume Du Vair, Œuvres, 1619, p. 104 ; cf. également : B.N.F. Ms. Fr. 4397, folio 48 verso.

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