Biblio Histoire du droit - Entre amour et droit : le lien conjugal dans la pensée juridique moderne (XVI-XXIe siècles) - 112

PROGRESSIVE JUSTIFICATION DU POUVOIR DE L’HOMME SUR LE MARIAGE

par conséquent une hiérarchie de ces mêmes pouvoirs. On sait cependant qu’en matière matrimoniale ils reconnaissent, dans leur ensemble, le pouvoir unique du consentement des époux, ou celui supérieur de Dieu, mais pas celui des puissances humaines. La raison en est claire, ces dernières ne sont pas susceptibles d’insuffler un élément essentiel du mariage : l’amour. Les principes juridiques ont donc changé, la notion même de « droit » s’est métamorphosée en donnant naissance à l’absolutisme de l’État moderne, mais la formation du mariage, fruit unique du consentement des époux, a été à peu près sauvegardée. 101. Un regard sur l’activité judiciaire du Grand Siècle permet encore de confirmer cet état de fait284. Il y a toujours un certain décalage entre les avancées doctrinales et la pratique judiciaire, c’est la raison pour laquelle le XVIIe siècle sert ici d’exemple. Autant les parlementaires sont virulents pour ce qui est de maintenir leur privilège juridictionnel et politique, autant, confrontés à la pratique matrimoniale de tous les jours, ils savent rester classiques et prudents. Classiques dans le sens où tout dans leurs décisions respire le droit canonique. Ils ont clairement conscience que l’essence du mariage réside dans le consentement des époux, que c’est leur inclination mutuelle, leur affection qui donne « l’être au mariage », comme le dit Le Maistre dans un de ses plaidoyers en 1634285. Un arrêt du 12 juin 1601 dit de même qu’« il n’y a rien en la vie de l’homme, où la liberté soit si nécessaire qu’aux mariages […] les mariages sont de notre volonté, personne ne me peut commander que j’aime ou haïsse telle personne qu’il voudra »286. Il est possible de multiplier les exemples287, conformes à cette pensée de saint Thomas : « les serviteurs ne sont pas obligés d’obéir à leurs maîtres, ni les enfants à leurs parents, quand il s’agit de mariage à contracter, de virginité à garder, ou de quelque chose d’aussi essentiel »288. Le poids du droit canonique – disons de la vision classique du lien conjugal – se remarque aussi par la place accordée à la possession d’état. Quoi de plus réaliste que le recours à la possession d’état pour constater le lien conjugal ? La législation tentera bien de l’enrailler en favorisant voir en imposant la preuve écrite du mariage289, mais les arrêts sont là pour montrer sa permanence. C’est d’ailleurs une question de bon sens accréditée par le poids de l’histoire, « manger, boire, dormir ensemble… » voilà le mariage dit Loisel290. Il est facile sur le papier d’écrire tel mariage nul ou privé d’effets civils, ou encore entaché de rapt de séduction et passible de mort, mais quand se présentent des époux ayant consenti
284. Y. Jeanclos, « Consentement et pratique matrimoniale en France au XVIIe siècle », dans les Mémoires de la Société pour l’Histoire de Droit et des Institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, « Parents et enfants », vol. 58, 2001, pp. 309-358. 285. Idem, p. 311, A. le Maistre (1608-1658), Plaidoyez et Harangues, donnez au public par Jean Issali, 5e édition, Paris, 1660, pp. 389-414, Plaidoyer XXII, Arrêt du 26 juin 1634, p. 395. 286. Idem, p. 315, J. Peleus, Les Actions Forenses singulières et remarquables, Paris, 1603, livre VII, action III, p. 677. 287. Idem, pp. 316-319. 288. Somme théologique, IIa-IIae, question 104, art. 5, sur l’obéissance, traduction de J.-D. Folghera, o. p. dans saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, les vertus sociales, Paris, Desclée « Édition de la revue des jeunes », 1931, p. 81. 289. Ordonnance de janvier 1629, art. 40 qui impose la preuve écrite ; Déclaration de 1639, art. 7 ; Ordonnance sur la procédure civile de 1667, art. 7. 290. A. Loisel, Institutes coutumières, op. cit., Règle 6, liv. 1, tit. 2.

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