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ENTRE AMOUR ET DROIT : LE LIEN CONJUGAL DANS LA PENSÉE JURIDIQUE MODERNE

Il va fonder son système juridique sur ces principes individuels : sur le respect des promesses il établira le droit des contrats25, sur le contrat ainsi entendu sera fondé le mariage. C’est ce système déductif à partir de principes abstraits qui est le signe de la modernité juridique. Sa vision du droit n’a plus rien à voir avec celle d’Aristote qu’il affectionne pourtant particulièrement26. Aristote ne cesse de répéter, tout au long du chapitre 5 de son Éthique à Nicomaque, que le droit est un certain milieu, un certain équilibre, un certain rapport à observer dans les faits. Point de faits chez Grotius : « j’affirme, en effet, qu’ainsi que les mathématiciens considèrent les figures, abstraction faite des corps, de même, en traitant du droit, j’ai détourné ma pensée de tout fait particulier »27. Le droit naturel n’est pas à chercher à l’extérieur, ce n’est pas non plus un rapport, c’est une loi inscrite dans la raison humaine de chaque individu (comme chez Bodin)28. 114. Fondant tout son système sur ces quelques principes, il tient à en assurer une parfaite solidité, ce d’autant que son sujet principal, la réglementation juridique de la guerre, est particulièrement délicat. Il consacre ainsi, contrairement à Aristote, l’immutabilité du droit naturel : « le droit naturel est tellement immuable, qu’il ne peut pas même être changé par Dieu »29. Dans ses prolégomènes, Grotius va encore plus loin en affirmant que ces principes de morale générale vaudraient alors même que l’on refuserait l’existence de Dieu30. Le passage de ces règles morales abstraites au droit proprement dit va s’opérer chez Grotius grâce à la construction du concept de droit subjectif. Certes, le terme n’est pas encore sous sa plume, mais l’idée n’en est pas moins très clairement exprimée : « le droit est une qualité morale attachée à l’individu pour posséder ou faire justement quelque chose […] lorsque la qualité morale est parfaite, je l’appelle faculté ; lorsqu’elle ne l’est pas, aptitude […] les jurisconsultes désignent la faculté par l’expression de sien ; pour nous, nous l’appellerons désormais droit proprement ou strictement dit, qui embrasse la puissance tant sur soi-même – qu’on appelle liberté – que sur les autres, telles que la puissance paternelle, la puissance dominicale […] »31. Ce concept va permettre à Grotius de faire correspondre, à une règle morale, un « droit » correspondant. Si la morale
25. Idem, livre II, chap. XI, I : « on réfute l’opinion suivant laquelle il ne naît point naturellement un droit des promesses ». 26. Idem, prolégomènes, XLII, p. 23 : « parmi les philosophes, Aristote occupe à juste titre le premier rang, que vous considériez l’ordre qu’il donne aux matières, ou la finesse de ses distinctions, ou le poids de ses raisons », Grotius insiste cependant sur le fait qu’il ne se sent pas asservi à sa doctrine, il poursuit en faisant l’apologie d’un éclectisme qui semble bien lui correspondre. 27. Idem, prolégomènes, LVIII, p. 28. 28. Idem, livre I, chap. I, X, 1, p. 38 : « le droit naturel est une règle que nous suggère la droite raison ». 29. Idem, livre I, chap. I, X, 5, p. 39. 30. Idem, prolégomènes, XI, p. 12 : « ce que nous venons de dire aurait lieu en quelque sorte, quand même nous accorderions, ce qui ne peut être concédé sans un grand crime, qu’il n’y a pas de Dieu ». La formule n’est cependant pas nouvelle et nous la retrouvons sous la plume de Suarez et de Vasquez (voir M. Villey, La formation de la pensée juridique moderne, op. cit., p. 539), en outre saint Thomas d’Aquin insiste sur le caractère laïc du droit (voir M. Villey, Leçons d’histoire de la philosophie du droit, op. cit., chap. X : « De la laïcité du droit selon saint Thomas », pp. 203 à 219). Ce qui est sans doute le plus remarquable est le compromis que fait ici le réformé Grotius avec la jeune théologie catholique de la « nature pure » de l’homme développé notamment par la scolastique espagnole, très opposée à un Luther pour qui le droit vient uniquement et directement de Dieu. 31. Idem, livre I, chap. I, IV et V, pp. 35 et 36, mots en italique dans le texte.

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