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ENTRE AMOUR ET DROIT : LE LIEN CONJUGAL DANS LA PENSÉE JURIDIQUE MODERNE

tente de montrer l’articulation qui s’établit entre le contrat et le sacrement. Après l’exposé très classique des distinctions faites par saint Thomas96, il montre que le pouvoir temporel, en invalidant le contrat civil, empêche par la même occasion le sacrement de pouvoir se former : « le sacrement n’y peut être attaché, non plus que la forme ne peut subsister sans la matière »97. Le contrat civil est donc la réalité matrimoniale elle-même, la matière sur laquelle il est possible d’ajouter une « forme » sacramentelle. Ainsi poursuit-il, « les lois qui irritent le contrat, et qui le rendent nul par une disposition précise pour la nullité, irritent entièrement le mariage, empêchent qu’il ne soit un sacrement, puisque le sacrement ne peut être sans un contrat »98. La conclusion s’impose : le contrat, matière du sacrement, est à la disposition de la puissance civile, le prince peut donc rendre impossible la réalité sacramentelle elle-même en « irritant » le contrat. 136. La conception juridique du mariage ne s’élabore donc plus par l’étude de la réalité matrimoniale elle-même, mais en fonction des différents pouvoirs qui sont censés la régir. De la sorte, le sacrement n’est plus l’expression sacrée de l’union des époux, mais le résultat d’une construction associant les différents pouvoirs. Autrement dit, il résulte davantage du respect des commandements naturels, civils et ecclésiastiques, que de la teneur des rapports entre le mari et la femme. Concrètement, auparavant la matière et la forme du sacrement étaient la réalité conjugale elle-même : la matière étant tous les actes communs entre les époux et la forme étant le consentement à ces actes99. Dans la doctrine régalienne, la matière et la forme ne désignent plus tant la réalité conjugale que les autorités tenant le pouvoir sur le mariage : la matière devient le contrat civil soumis au pouvoir civil, la forme devient bizarrement le « sacrement » lui-même soumis à l’Église. 137. Pour bien faire, il fallait, en plus du sacrement, changer la vieille définition romaine puis canonique du mariage, aux allures bien trop réalistes. On trouve une définition tout à fait adaptée à la nouvelle conception, dans le très savant et souvent très pertinent Dictionnaire des cas de conscience de Pontas (1724)100, ouvrage qui a même fait l’objet de louange de la part du pape Benoît XIV101. Pontas la reprend du chanoine Jean Polman, qui publie au milieu du XVIIe siècle un « bréviaire » plusieurs fois réédité (1653, 1660, 1695) de définitions et d’explications des termes théologiques102. Pontas se place donc sous l’autorité d’un théologien, sans doute réputé, pour formuler sa définition en préambule de l’article « Mariage ». Il commence par citer la vieille définition romano-canonique : « voici comme les théologiens le définissent par rapport à cette seconde notion [le sacrement] : matrimonium est legitima maris et feminae
96. Idem, pp. 911 et 912 : « les plus grands docteurs entre les scolastiques, et entre autres saint Thomas qui en est le chef, ont dit que le mariage avait plusieurs rapports : comme il se rapporte à l’Église en tant que sacrement, il dépend aussi du prince séculier, en tant qu’il est un contrat civil ; de sorte que si l’Église peut faire des conditions irritantes à l’égard du sacrement, le Prince avait aussi ce pouvoir à l’égard du contrat ». 97. Idem, p. 912. 98. Ibidem. 99. Cf., supra, chap. 1, sect. 1, § 2, I, B. 100. Op. cit. 101. H. Hurter, Nomenclator litterarius theologiae catholicae theologos exhibens aetate, natione, disciplinis distinctos, Innsbruck, oeniponte, 1910, t. IV, pp. 1312-1313. 102. J. Polman, Breviarum theologicum continens definitiones, descriptiones et explicationes terminorum theologicorum, Lyon, J. Radisson, 1653, ouvrage de format pratique : in-12.

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