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ENTRE AMOUR ET DROIT : LE LIEN CONJUGAL DANS LA PENSÉE JURIDIQUE MODERNE

A. DÉNIGREMENT DE L’ANCIENNE MORALE CONÇUE EN TERME DE VERTU ET D’ÉQUILIBRE 148. Descartes s’est contenté, dans un premier temps, d’une morale provisoire dans laquelle il inclut une dimension juridico-politique qu’il sait précaire mais qu’il considère suffisante. Il en fait état dans le Discours de la méthode (1637). Elle consiste en tout premier lieu à suivre les lois et les coutumes de son pays et à rester fidèle à la religion. Pour la vie de tous les jours, le conseil est de rester dans un juste milieu, en suivant l’opinion modérée des hommes les plus sensés avec lesquels nous vivons127. Rien, donc, de révolutionnaire. Descartes insiste beaucoup dans sa morale provisoire sur la nécessité de suivre un juste milieu entre les excès128. La vie nous impose beaucoup d’actes sans avoir le temps suffisant pour délibérer. Dans la précipitation, se réfugier dans un certain positivisme et suivre une voie moyenne reste alors ce qu’il y a de plus sage. Cette démarche ressemble étrangement à l’éthique aristotélicienne qui repose toute entière sur le principe du juste milieu. Mais alors que le juste équilibre, chez Aristote, constitue la finalité même de la recherche morale selon le principe proverbial : in medio stat virtus, chez Descartes ce n’est qu’un pis-aller pratique pour éviter de graves erreurs. Au fond, Aristote n’est qu’un homme d’astuce qui peut s’avérer pratique. Descartes ne trouve aucun intérêt proprement scientifique à suivre Aristote129, quant à l’aristotélisme et la scolastique de son temps, ils sont assimilés à une lutte d’aveugle dans une cave obscure130. La recherche de la vérité passe par d’autres moyens, une autre méthode. 149. Descartes maintient ainsi la façade de l’ordre juridique qui lui est contemporain dans un souci pratique, parce qu’il faut bien vivre quelque part en attendant de tout reconstruire sur des bases théoriques solides131. Que penser du mariage dans ce cadre transitoire ? Il est assez difficile à appréhender car Descartes nous place volontairement dans une situation instable, relative et mouvante, qui nous permet d’avancer seulement à « tâtons » sans être sûr. Il est alors très difficile d’envisager une union aussi définitive et stable qu’est le mariage sur
127. Descartes, Discours de la Méthode, introduction, dossier et notes par Denis Moreau, Le livre de poche, 2000, 3° partie, pp. 96 et 97 : « la première était d’obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle Dieu m’a fait la grâce d’être instruit dès mon enfance, et me gouvernant en toute autre chose suivant les opinions les plus modérées et les plus éloignées de l’excès qui fussent communément reçues en pratique par les mieux sensés de ceux avec lesquels j’aurais à vivre ». 128. Idem, « entre plusieurs opinions également reçues, je ne choisissais que les plus modérées, tant à cause que ce sont les plus commodes pour la pratique, et vraisemblablement les meilleures, tous excès ayant coutume d’être mauvais », pp. 97 et 98. 129. Ceux qui suivent Aristote sont, dit-il, « comme le lierre, qui ne tend point à monter plus haut que les arbres qui le soutiennent, et même souvent qui redescend après qu’il est parvenu jusques à leur faite », idem, sixième partie, p. 163. 130. Descartes est très critique vis-à-vis de l’aristotélisme et de la scolastique de son temps, alors même qu’il en est extrêmement tributaire (E. Gilson, Étude sur le rôle de la pensée médiévale dans la formation du système cartésien, Paris, Vrin, 1930), il les compare à « un aveugle, qui, pour se battre sans désavantage contre un qui voit, l’aurait fait venir dans le fond de quelque cave fort obscure » et il ajoute, parlant de lui-même : « je puis dire que ceux-ci ont intérêt que je m’abstienne de publier les principes de la philosophie dont je me sers, car étant très simples et très évidents, comme ils sont, je ferais quasi le même en les publiant que si j’ouvrais quelques fenêtres, et faisais entrer du jour dans cette cave où ils sont descendus pour se battre », Discours de la méthode, op. cit., sixième partie, pp. 163 et 164. 131. Idem, troisième partie, p. 96.

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