Biblio Histoire du droit - Entre amour et droit : le lien conjugal dans la pensée juridique moderne (XVI-XXIe siècles) - 150

LE PROBLÈME DE L’AMOUR

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va se heurter au problème de l’amour. Un tiraillement va s’introduire dans la morale entre la lettre et l’esprit de la loi, c’est-à-dire entre le commandement et l’amour, modifiant ainsi l’approche du mariage (B). En ce sens, beaucoup de jansénistes se rapprochent du cartésianisme, ce qui contribue à rendre ce mouvement spécifiquement moderne (C). A. LE DILEMME : RAISON, AMOUR ET GRÂCE 156. La nouvelle raison, largement affranchie de l’observation de la beauté et de l’harmonie du monde, s’envisage de plus en plus comme une sorte de réservoir de principes innés qu’il convient de découvrir par une sorte d’introversion, puis d’appliquer. Descartes est ici, on l’a vu, particulièrement représentatif150. De cette conception de la raison va découler un système déductif de morale et de droit : les règles pratiques vont être tirées des principes. Cela a le défaut de conduire, in fine, à ne plus envisager le mariage que sous l’angle désincarné des droits et des devoirs, sans pouvoir déboucher sur l’amour, l’union, ou d’autres réalités existentielles. Il y a un certain abandon, avec le système déductif, de la finalité, de l’idéal et par conséquent du dynamisme, du mouvement et de la vie, sans laquelle on ne peut appréhender l’amitié ou l’amour. En théologie, l’amour s’assimile à la grâce et la grâce, c’est la vie divine. La nouvelle raison abstraite sera nécessairement incapable d’approcher la grâce. Les difficultés que le XVIIe siècle a d’appréhender la grâce sont ainsi symptomatiques des difficultés qu’il a d’appréhender l’amour. Il reste à montrer l’origine de ces problèmes. La volonté est cette faculté qui désire, qui aime, qui se porte vers quelque chose. Elle a donc besoin pour s’exercer que la raison lui présente un objet désirable, chose que la raison moderne ne peut plus faire151. Cette dernière ne produit que des principes abstraits d’ordre géométrique qui sont incapables de susciter l’amour. La volonté ira donc chercher cet objet en dehors de la raison, dans les impressions, les sentiments. Au XVIIe siècle, on parle du cœur. La volonté se divise si l’on peut dire en deux : d’un côté la nécessité de suivre la raison et de l’autre cette capacité à aimer qui est devenue autonome152.
150. Cette conséquence découle de ce que l’on peut appeler le « mécanisme » de Descartes. Celui-ci cherche avant tout à ce que sa philosophie soit utile, pratique, il importe donc davantage de savoir comment les choses fonctionnent que pourquoi elles fonctionnent. Cet abandon des causes finales signe l’abandon de la contemplation gratuite de l’harmonie des êtres pour la raison qu’elle n’a pas d’intérêt pratique. Par rapport à la tradition grecque, dit Étienne Gilson, « et même chrétienne, ce sentiment était nouveau. Platon, Aristote, Plotin, Augustin et la longue suite des théologiens scolastiques avaient placé la fin dernière de l’homme dans la contemplation et l’amour de la vérité cherchée et possédée pour elle-même » (E. Gilson, D’Aristote à Darwin et retour, Paris, Vrin, 1971, p. 34). 151. C’est ici que le problème se pose. Auparavant, la volonté était mue par cette harmonie que lui présentait la raison des anciens. Le désir de s’insérer dans cet ordre qui la dépasse était à même de satisfaire un appétit de bien, de vrai et de beau… La raison des modernes, elle, nous prescrit simplement un certain nombre de règles à suivre, cela n’est pas suffisant pour mouvoir la volonté qui désire un objet plus enthousiasmant, plus sensible, une réalité vivante qu’elle puisse aimer. 152. Cette « autonomie de la volonté » est une des marques les plus décisives de la modernité, c’est elle qui progressivement va justifier une nouvelle définition de la liberté, une liberté conçue en face de la loi comme une pure capacité subjective. Le XVIIe siècle français n’est cependant pas encore prêt de vouloir fonder la science juridique sur une telle notion, l’empirisme anglais de Locke et de Hobbes devra attendre le siècle suivant pour s’imposer de manière déterminante. Le Grand Siècle sera à bien des égards celui de l’ordre rationnel cartésien, la passion et l’amour seront mis en demeure de suivre la nouvelle raison géométrique. On maintiendra généreusement ce beau principe de hiérarchie

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