Biblio Histoire du droit - Entre amour et droit : le lien conjugal dans la pensée juridique moderne (XVI-XXIe siècles) - 155

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ENTRE AMOUR ET DROIT : LE LIEN CONJUGAL DANS LA PENSÉE JURIDIQUE MODERNE

§ 2. DOMAT :

L’INTÉGRATION DU DILEMME JANSÉNISTE AU CŒUR DE L’APPRÉHENSION JURIDIQUE DU MARIAGE

164. Domat cherche à maintenir fermement un lien entre l’esprit et la lettre de la loi, entre la règle et l’amour169. Dans un sens très évangélique, il tient à faire découler toutes les lois de l’amour de Dieu et du prochain (I). Cependant, partant d’une conception moderne de la loi, il se heurte au tiraillement janséniste et l’application de son principe au mariage va s’avérer délicate. Domat va donc le reformuler, en tenant compte de la faute originelle et du poids que le jansénisme lui attribue (II). Finalement, inévitablement, sa conception juridique du mariage sera sans lien avec l’amour (III). I. L’AMOUR MIS COMME FONDEMENT DE LA LOI MODERNE 165. C’est sur l’amour « rationnel » que Domat va réaliser sa synthèse juridique170, ceci dans les premières pages de son Traité des lois. Sa démonstration est limpide : les lois sont faites pour conduire les hommes171, or ceux-ci n’ont d’autre but que la connaissance et l’amour de Dieu. La première de toutes les lois, celle d’où dérivent toutes les autres, est donc cet amour de Dieu : « cette loi qui commande à l’homme la recherche et l’amour du souverain bien »172. Le fondement des lois, en effet, ne peut être autre chose que le devoir d’accomplir ce pourquoi on est fait173. Les hommes ont ainsi tous le devoir d’aimer et de posséder Dieu; cela va entraîner, chez Domat, une autre loi inséparable de la première : l’amour du prochain. Comme les hommes sont tous destinés à posséder le même bien dans une
169. Sur ce point fondamental voir les très fines analyses de M.-F. Renoux-Zagamé, dans Du droit de Dieu au droit de l’Homme, Paris, PUF, 2003, titre II : « Domat : la source divine incorporée au droit humain », pp. 77 à 146, plus précisément le chap. I : « La mise en système des lois comme moyen de salut », pp. 78 à 116 ; voir aussi D. Gilles, La pensée juridique de Jean Domat, thèse soutenue le 4 décembre 2004 à l’Université Paul Cézanne Aix-Marseille III, les chapitres I et II du titre II : « L’établissement de l’âme du système juridique », pp. 100 à 180. 170. Sur le rationalisme de Domat, intégré dans le vaste mouvement de rationalisation juridique marquant le XVIIe et le XVIIIe siècle, voir la thèse de A.-J. Arnaud, Les origines doctrinales du Code civil français, Paris, LGDJ, 1969, notamment pp. 69 à 73 et 142 à 147, le tableau synoptique du système juridique de Domat, p. 145, est révélateur de sa logique déductive. 171. J. Domat, Les loix civiles dans leur ordre naturel ; le droit public et Legum deletus, t. 1, Paris, Le Clerc, libraire, quai des Augustins, 1777, Traité des lois, pp. I à XXIX, voir chap. 1, § 3, p. II : « on ne peut prendre une voie plus simple et plus sûre pour découvrir les premiers principes des lois, qu’en supposant deux premières vérités, qui ne sont que de simples définitions. L’une, que les lois des hommes ne sont autre chose que les règles de sa conduite ; et l’autre, que cette conduite n’est autre chose que les démarches de l’homme vers sa fin ». Voir aussi, pour saisir la finalité de l’ouvrage, la quatrième page de la préface le passage intitulé : « Pourquoi on a fait un traité des loix », très instructif sur la volonté de l’auteur de suspendre toute sa démarche à un système rationnel et déductif : « toutes les lois ont leur source dans les premiers principes, qui sont les fondements de l’ordre de la société des hommes ; et on ne saurait bien entendre la nature et l’usage des différentes espèces de lois, que par la vue de leur enchaînement à ces principes, et leur rapport à l’ordre de cette société dont elles sont les règles ». 172. Idem, chap. 1, § 7, p. II. 173. Idem, chap. 1, § 3, p. II : « pour découvrir donc les premiers fondements des lois de l’homme, il faut connaître quelle est sa fin : parce que sa destination à cette fin sera la première règle de la voie et des démarches qui l’y conduisent, et par conséquent sa première loi et le fondement de toutes les autres ».

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