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ENTRE AMOUR ET DROIT : LE LIEN CONJUGAL DANS LA PENSÉE JURIDIQUE MODERNE

L’autorité paternelle sur l’enfant mature se proportionne en fait à la capacité du père de faire désirer les biens matériels qu’il est susceptible de transmettre89. Locke ne perd jamais de vue ce qui fait l’efficacité du pouvoir, comme de la loi, à savoir l’intérêt et l’appât du plaisir : « ce pouvoir [paternel] vient de la liberté où sont les hommes de donner et laisser leurs biens à ceux à qui il leur plaît. Les biens et les possessions d’un père étant d’ordinaire regardés comme l’héritage de ses enfants, conformément aux différentes lois et aux différentes coutumes des pays, il peut en donner aux uns plus ou moins qu’aux autres, selon la conduite qu’ils auront tenue envers lui, selon le soin qu’ils auront eu de lui obéir, et de se conformer à sa volonté et à son humeur »90. Locke ajoute, et c’est assez révélateur d’une importante limite à la liberté des enfants, que ce poids de l’héritage « n’est pas un petit motif pour obliger les enfants à une exacte obéissance »91. L’obéissance n’est pas, chez Locke, soumise à un principe abstrait d’autorité, il faut y ajouter un intérêt concret. L’enfant est tenu de respecter et d’honorer ses parents durant toute sa vie, mais en aucun cas ce respect ne comprend, en soi, la soumission aux volontés des parents pour le mariage92. 205. L’autre loi permettant de régler le mariage est la loi civile. Comme Locke a prouvé, dans un esprit d’ailleurs assez réaliste, que le pouvoir parental reposait sur un fondement différent et répondait à une finalité distincte du pouvoir du prince, il peut conclure à une certaine indépendance des deux sociétés : « ceci fait voir la raison pour laquelle les pères et les mères, dans les sociétés et les États dont ils sont sujets, retiennent leurs pouvoirs sur leurs enfants, et ont autant de droit à leur obéissance, que ceux qui se trouvent dans l’état de nature : ce qui ne pourrait pas arriver si tout le pouvoir politique et le pouvoir paternel n’était qu’une seule et même chose »93. L’empirisme (ou les besoins de la lutte contre Filmer) a permis à Locke d’éviter la confusion bodinienne autour du terme de pouvoir, en le rattachant à un certain réel. Ce pouvoir paternel, comme
they must take it on the same terms their ancestors had it, and submit to all the conditions annexed to such a possession » ; « les enfants étant par la nature aussi libres que leur père, ou qu’ont été leurs ancêtres, peuvent, pendant qu’ils se trouvent dans cette liberté, choisir la société qu’il leur plaît, pour en être membre et en observer les lois. Mais s’ils veulent jouir de l’héritage de leurs ancêtres et de leurs prédécesseurs, il faut qu’ils le fassent sous les mêmes conditions sous lesquelles ils en ont joui eux-mêmes », idem, p. 196. 89. Sur ce point Locke influencera le Code civil, voir l’étude approfondie de X. Martin, Mythologie du code Napoléon, pp. 251 à 270, spécialement pp. 263 à 270 sous le titre : « Les intérêts : un substitut à l’affection ». 90. « This is the power men generally have to bestow their estates on those who please them best, the possession of the father being the expectation and inheritance of the children, ordinarily in certain propositions, according to the law and custom of each country; yet it is commonly in the father’s power to betow it with a more sparing or liberal hand, according as the behaviour of this or that child hath comported with his will and humour », J. Locke, Traité du gouvernement civil (1690), op. cit., p. 196. 91. « is not small tie on the obedience of children », J. Locke, Traité du gouvernement civil (1690), op. cit., p. 196. 92. « The want of disinguishing these two powers, viz. That which the father hath in the right of tuition, during minority, and the right of honour all his life, may perhaps have caused a great part of the mistakes about this matter » ; « faute de bien distinguer ces deux sortes de pouvoir qu’un père a, l’un par le droit de tutelle durant la minorité, l’autre par le droit à cet honneur, qui lui est dû pendant toute sa vie, on est apparemment tombé dans les erreurs dans lesquelles on a été sur cette matière », idem, p. 192. 93. « This shews the reason how it comes to pass, that parents in societies, where they themselves are subjects, retain a power over their children, and have as much right to their subjection, as those who are in the state of nature. Which could not possibly be, if all political power were only parental, and that in truth they were one and the same thing », idem, p. 195.

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