Biblio Histoire du droit - Entre amour et droit : le lien conjugal dans la pensée juridique moderne (XVI-XXIe siècles) - 210

CRITIQUE EMPIRISTE DU CARCAN RATIONNEL

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du sacrement197, il en confectionne aussi la matière et la forme par le rite qu’il accomplit  : «  voilà la matière et la forme du sacrement de mariage bien exprimées : la matière, c’est l’imposition des mains ; extensa manu : la forme, c’est la prière qu’on vient de lire [la bénédiction nuptiale] »198. Le  Ridant est très clair. Le mariage est par nature entièrement civil et ne dépend que du pouvoir temporel  : «  la légitimité des mariages dépendant des lois du prince dont les contractants sont sujets ; c’est sans doute à ceux que le souverain a commis pour veiller en son nom au maintien de ces lois, à connaître si elles ont été observées dans les mariages qui ont été contractés à l’ombre de ces mêmes lois. Si on les a observées, les Parlements rendent hommage à la validité du mariage […] Si on les a enfreintes, ils déclarent les mariages nuls »199. Corrélativement, « le sacrement ne fait pas le mariage ; il le suppose préexistant, car on ne sanctifie pas ce qui n’est pas. Le prêtre ne peut pas sanctifier le mariage, quand il n’y a pas de mariage »200, le mariage est parfaitement indépendant de l’Église. 237. Un renversement s’est tout bonnement réalisé. Le fondement du mariage était le sacrement, il devient maintenant le contrat civil201. La réalité sacrée à laquelle se rattachait l’essence du mariage a laissé place à quelque chose de profane. Melchior Cano avait déjà plaidé au XVIe  siècle le rôle exclusif du prêtre dans la confection du sacrement de mariage. À son époque, cela permettait de renforcer l’autorité de l’Église sur l’institution conjugale. La dimension sacrée du mariage était en effet autrement plus importante avant le développement de l’empirisme. Le prêtre, promu ministre du sacrement, devait alors avoir un rôle considérable. Ce n’est plus du tout le cas au XVIIIe siècle. Le principe est certes resté le même : séparation du contrat et du sacrement (issue d’une nouvelle épistémologie juridique fondée sur la notion de pouvoir), mais c’est l’idée du spirituel et du sacré qui s’est vidée au profit d’une matérialité sensible. La séparation du contrat et du sacrement ne joue alors qu’en faveur du contrat, de la réalité civile, la seule réalité consistante. Cette forme d’empirisme permet même à un auteur, Lorry, de soutenir contre Le Ridant l’unité du contrat et du sacrement, sans pour autant être en désaccord avec lui sur l’étendue du pouvoir temporel202. En effet, si toute la consistance du mariage réside dans le contrat civil, il importe assez peu, finalement, qu’il soit uni ou séparé du sacrement pour qu’il soit entièrement sous la loi temporelle. Chez Le  Ridant, la loi du prince annule le mariage qui, de ce fait, ne peut recevoir de bénédiction sacramentelle (celle-ci n’ayant pas d’objet). Chez Lorry, la loi du prince annule le mariage et par conséquent le sacrement, puisqu’ils sont unis…
197. Le Ridant, Examen de deux questions importantes sur le mariage, op. cit., chap. 3 : « les prêtres sont les ministres du sacrement de mariage », pp. 13 et s. 198. Idem, p. 22. 199. Idem, p. 49. 200. Idem, p. 48. 201. J.  Mulliez, «  droit et morale conjugale  : essai sur l’histoire des relations personnelles entre époux », dans la Revue historique, CCLXXVIII/1, 1987, pp. 35-106, voir pp. 70-72, ce copieux et très riche article est en lien direct avec les problèmes que nous soulevons dans cette thèse (ceci notamment en raison de la longue période envisagée : du Moyen Âge au XXe siècle), il constitue donc une référence importante alors même (d’autant plus) que les positions doctrinales peuvent différer. 202. Lorry, Essai de dissertation, ou essai sur le mariage en sa qualité de contrat et de sacrement ; à l’effet de prouver que dans le mariage des fidèles on ne peut séparer le contrat du sacrement, Paris, Martin, 1760, cité et recensé dans Camus, Code matrimonial, op. cit., pp. 922-923.
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