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ENTRE AMOUR ET DROIT : LE LIEN CONJUGAL DANS LA PENSÉE JURIDIQUE MODERNE

virage dans l’approche canonique du mariage. Cette nouvelle approche théologique et canonique aboutira, au XIXe siècle, à la consécration de l’indissolubilité du contrat et du sacrement de mariage et à la condamnation corrélative de la doctrine séparatiste gallicane. Un fossé se creuse ainsi entre le droit canonique et le droit civil, car jusqu’ici les actes magistériels (les enseignements pontificaux), demeuraient assez flous sur les rapports du contrat et du sacrement, restant ainsi sur l’ambiguïté du concile de Trente. Au XVIIIe siècle, le pape Benoît XIV (1740-1758) demeure encore très évasif sur cette question, il tend même nettement vers l’opinion séparatiste comme peut en témoigner sa lettre Redditae sunt Nobis du 17 septembre 1746 : « vous demandez ce qu’il faut penser de ce consentement mutuel donné devant le magistrat civil ou le ministre hérétique : ce consentement suffit-il pour rendre le mariage valide, du moins en tant que contrat, quoique ce contrat – comme aucun de vous ne le conteste – ne s’élève point à la dignité de sacrement ? »267. En l’occurrence, c’est le père Simon de Saint-Joseph, alors missionnaire dans les Provinces Unies (Belgique), qui exprime ses doutes. Il doit faire face à une nouvelle législation imposant aux fidèles de se présenter devant le magistrat ou le ministre protestant pour contracter mariage. Benoît XIV insiste surtout dans sa réponse sur la nécessité de se présenter aussi devant le ministre catholique pour la validité du mariage : « qu’ils sachent que si leur union n’est pas contractée devant le pasteur catholique et deux témoins, jamais ils ne seront, ni aux yeux de Dieu, ni pour l’Église, véritables et légitimes époux »268. Il s’agit donc avant tout d’un combat pour le respect du décret Tametsi, c’est-à-dire un combat pour que soit présent le prêtre. Benoît XIV l’a clairement affirmé aussi au sujet des chrétiens soumis aux Turcs : « nous déterminons que sont tout à fait invalides et nuls les soi-disant mariages qui sont contractés devant le seul juge des Turcs, ou Caïd, ou même en dehors de lui, par les seuls époux, et non selon les prescriptions du Concile de Trente »269. 260. C’est ce même combat que reprendra Pie VI (1774-1799) en 1791, suite à la Constitution civile du clergé : « les fidèles résidant en France doivent être unis en mariage par leur curé légitime […] un mariage célébré autrement n’aurait aucune valeur en raison de la loi très connue du concile de Trente. […] Parce que le prêtre intrus [assermenté] n’est pas du tout le curé légitime et n’a aucun titre, vrai ou falsifié, un mariage contracté devant lui n’a certainement aucune valeur. C’est pourquoi les fidèles doivent s’abstenir d’aller à lui en se détournant du curé légitime »270. Pie VI rappelle expressément les décisions de Benoît XIV : « sur ce
267. Benoît XIV, Lettre Redditae sunt Nobis du 17 septembre 1746 au carme Paul Simon de Saint-Joseph, traduction dans l’ouvrage des Moines de Solesmes, Le mariage, col. « Les enseignements pontificaux », Desclée et Cie, 1956, n° 17, Bullarii Romani, Continuatio. Summorum Pontificum Benedicti XIV…, Pii VII, Prati, 1845-1854, t. 3, supp., p. 3. 268. Benoît XIV, Lettre Redditae sunt Nobis, op. cit., n° 18. 269. Benoît XIV, Encyclique Inter omnigenas du 2 février 1744, aux évêques et aux peuples de Serbie et des régions voisines, Moines de Solesmes, Le mariage, op. cit., n° 11, Bullarii Romani, Continuatio, op. cit., t. 1, p. 89, § 9 : « itaque omnium istarum partium fideles supradictis decretis teneri declarantes, irrita omnino, et nulla esse definimus praetensa matrimonia, quae coram solo Turcarum judice, Caddi dicto, vel etiam absque isto, per solos sponsos, et non a praedicti Tridentini Concilii praescriptum contrahuntur ». 270. Pie VI, réponse aux évêques de France, 26 septembre 1791, traduit dans G. Mathon, Le mariage des chrétiens, op. cit., t. 2, pp. 337-338, texte latin dans A. de Roscovany, Matrimonium in Ecclesia Catholica…, t. 1, Pestini, 1870, pp. 433-437.

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