Biblio Histoire du droit - Entre amour et droit : le lien conjugal dans la pensée juridique moderne (XVI-XXIe siècles) - 23

8

ENTRE AMOUR ET DROIT : LE LIEN CONJUGAL DANS LA PENSÉE JURIDIQUE MODERNE

Le droit, qui était pour le civiliste l’ordonnancement de la vie sociale de son pays, répondant presque à une certaine esthétique qui lui appartenait de goûter et de préserver, ce droit est projeté dans l’avenir et devient un idéal, celui de permettre la totale autonomie de l’individu, l’accession à sa totale liberté : « Naguère assise de la société existante, le droit devient l’objectif à atteindre par la création d’une société neuve »43. Dans ce cadre, le nouveau couple ne rentre plus dans l’institution civile du mariage, fruit d’une certaine conception du lien conjugal, il vit librement la sexualité qui lui convient et attend comme une créance due la reconnaissance et l’aide de l’État et du droit. La finalité de l’ordre social, le bonheur, tend à s’analyser désormais comme le plein épanouissement de l’individu que seule la réalisation d’un libre choix de vie rendrait possible. Il appartient donc à l’État de consacrer et de rendre possible ce libre choix en droit. Voilà ce que serait la finalité d’une vision purement subjective et individualiste du lien conjugal, vision qui tend à dominer aujourd’hui et que la partie des droits fondamentaux protégeant la famille44 n’arrive pas à endiguer – l’État préfère à bien des égards perdre son contrôle de la sphère familiale et se rattraper ensuite sur un système de scolarisation fermement encadré45. Ainsi, à bien des égards, la conception du lien conjugal ne pose rien de moins que la question du rapport de l’individu au politique. Étant l’expression essentielle de l’épanouissement et du bonheur, elle assigne une finalité à l’État au vu de laquelle il doit se modeler. À une vision du lien conjugal subjective et
à l’idée selon laquelle le secret n’est que l’un des moyens de protéger la liberté individuelle, laquelle n’est à son tour que le moyen d’assurer l’épanouissement personnel de chacun, franchissant ainsi d’un jet le chemin qui sépare le “droit d’être laissé seul” au droit à l’autodétermination (droit-liberté), pour parvenir à l’épanouissement personnel, c’est-à-dire au bonheur (droit-créance) ». Le droit à la vie privée fournit ainsi un bon exemple de la mutation qu’ont pu subir les droits de l’homme. 43. G. Burdeau, op. cit., p. 20. 44. Les droits fondamentaux concernant la famille, qui sont essentiellement des droits de l’individu, pourraient néanmoins être un outil d’équilibre entre intérêt de l’individu et intérêt général, voir en ce sens l’analyse qui est faite des articles 8 et 12 de la Convention européenne des droits de l’homme par M.-T. Meulders-Klein, « Vie privée, vie familiale et droits de l’homme », op. cit., pp. 774 et 775. La Déclaration universelle des droits de l’Homme pourrait aussi être un moyen de protection, sous certains aspects, de la famille, ainsi que la Convention internationale des droits de l’enfant adoptée par les Nations Unie le 20 novembre 1989, mais pour A.-J. Arnaud même une « suridéologisation des droits de l’Homme » dans ce domaine n’arrive pas, de fait, à « venir à bout de l’individualisme subjectiviste qui tend à détruire la famille », voir « Philosophie des droits de l’Homme et droit de la famille », Internationalisation des droits de l’Homme et évolution du droit de la famille, op. cit., pp. 3 à 25, voir pp. 17 et 18. 45. En ce sens A.-J. Arnaud, «  Philosophie des droits de l’Homme et droit de la famille  », Internationalisation des droits de l’Homme et évolution du droit de la famille, op. cit., p. 18 : « à choisir, il semble que le législateur national lui-même, probablement dérouté par les avatars contemporains de la famille, soit porté davantage peut-être à respecter ce mouvement de vénération de la liberté de l’individu que la solidité de la cellule familiale. Si l’État s’est résolu d’aussi bon gré à abandonner à la femme la propriété de son ventre ; si l’État s’est résigné sans vergogne à abandonner peu à peu les pères auxquels il avait attribué tant de pouvoir par le passé ; si l’État accepte sans scrupule de reconnaître la substitution de formes nouvelles dites “recomposées” de la famille, aussi éloignées d’ailleurs – quoi qu’on ait pu prétendre – de la solidarité de l’ancienne famille étendue que de la liberté dont est censée être porteuse la famille nucléaire dont il ne parvient pas à éviter l’éclatement ; si l’État se préoccupe tant de l’intérêt de l’enfant, n’est-ce pas, en fin de compte que ce qui lui importe, ce n’est pas tant la protection d’un “milieu” – le milieu familial – que la protection d’une jeunesse tôt scolarisée et menée aussi loin que possible dans ses études, parce que c’est là l’intérêt de l’économie contemporaine ? ».
Biblio Histoire du droit - Entre amour et droit : le lien conjugal dans la pensée juridique moderne (XVI-XXIe siècles)

Table des matières de la publication Biblio Histoire du droit - Entre amour et droit : le lien conjugal dans la pensée juridique moderne (XVI-XXIe siècles)
