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ENTRE AMOUR ET DROIT : LE LIEN CONJUGAL DANS LA PENSÉE JURIDIQUE MODERNE

du législateur  ! Ignore-t-on que dans l’état de société, c’est la loi qui fait les pères  ?  »145. Le mythe du progrès social, l’égalité naturelle, la biologie sont les nouvelles réponses à ces questions. Le volontarisme juridique a eu son temps146, il laisse la place à la « science ». Avec la fin de ce volontarisme, la fin de ce droit conçu en terme de «  pouvoir  » (Bonald), c’est aussi l’idée d’un État gendarme fondateur et gardien de la stabilité conjugale qui se justifie de moins en moins. Il fallait sans doute ce nouvel état d’esprit pour que la législation sur le divorce finisse enfin par aboutir, en 1884.

SECTION 3 RÉAFFIRMATION RÉPUBLICAINE ET COMBAT DE L’ÉGLISE À LA FIN DU SIÈCLE
415. À partir de la IIIe République, se met en œuvre un mécanisme de rejet de l’appréhension du mariage véhiculée par le Code. On démantèle progressivement le mythe d’une loi créatrice du mariage. Toute l’évolution législative ira désormais dans ce sens, la place est à la réalité sociale, fruit des libertés individuelles. L’attaque la plus pertinente en ce sens vient du juriste Acollas (§1), il renoue philosophiquement avec 1793 et les projets de Code de Cambacérès, projets qu’il ne peut citer sans émotion. Il combat toute tentative de retour aux universaux, toute tentative de donner une réalité au mariage indépendante des individus. Grâce à la propagande d’Alfred Naquet, une avancée législative très symbolique vient lancer le processus, la loi sur le rétablissement du divorce de 1884 (§2). C’est une nouvelle approche juridique du mariage qui se dessine, marquée par un retour à l’idéologie révolutionnaire et le rejet du « droit gendarme » véhiculé par le Code. Elle aboutira à la conception actuelle, non encore sans surmonter de grandes difficultés. Pendant ce temps, l’Église poursuit sa lutte contre la séparation radicale du droit et de la religion, contre l’entière autonomie humaine affirmée depuis la Révolution (particulièrement bien reprise par Acollas) (§ 3). Son combat n’est pas sans paradoxe, parce que le droit canonique est extrêmement empreint de rationalisme et que celui-ci ne donne pas facilement accès à la transcendance… qu’il s’agit pourtant de promouvoir ! La pensée d’Acollas et la loi sur le divorce d’un côté, la position de l’Église de l’autre, forment un clivage saisissant à la fin du siècle.

§ 1. ACOLLAS, LE REJET DU MARIAGE COMME CONTRAT DE DROIT
PUBLIC, L’EXCLUSION DU MARIAGE HORS DU JURIDIQUE

416. Ce qui fait d’Acollas (1826-1891) un auteur important, ce n’est pas la grande réputation qu’il a auprès de ses collègues juristes – il manque de cet esprit de conciliation qui nourrit les gloires passagères. Car on fait difficilement plus
145. Cité par R. Savatier, L’art de faire des lois, Bonaparte et le Code civil, Paris, Dalloz, 1927, p. 36, pour le Premier Consul, la famille est une création sociale, p. 35 : « le mariage ne dérive pas de la nature, mais de la société et des mœurs » ; « les hommes ont les sentiments qu’on leur inculque ». René Savatier s’inspire ici des propres paroles de Bonaparte au Conseil d’État receuillies dans les Mémoires sur le Consulat du conseiller d’État poitevin Thibaudeau. 146. M. Villey, « Essor et décadence du volontarisme juridique », dans Leçons d’histoire de la philosophie du droit, op. cit., pp. 271-283.

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