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ENTRE AMOUR ET DROIT : LE LIEN CONJUGAL DANS LA PENSÉE JURIDIQUE MODERNE

joue, dans la fondation de la famille, le consentement libre de l’homme et de la femme »187. Cependant, constatant le caractère impératif des règles s’appliquant au mariage, l’auteur conclut qu’il s’agit d’«  un contrat qui diffère, quant à ses effets, des contrats ordinaires, c’est un acte-condition. On peut dire qu’il est à la fois un contrat et une institution »188. Enfin, dans un anachronisme cette fois complet, c’est la position de Paul Esmein (à ne pas confondre avec Adhémar) dans sa reprise du traité d’Aubry et Rau (1962) : « le divorce est d’ailleurs lui aussi une institution. On s’accorde aujourd’hui pour dire que le mariage est à la fois un contrat et une institution, voulant par ce mot exprimer le caractère impératif de la plupart des règles qui le concernent »189. Il est possible de rapprocher ici la vision que donne Le Bras : « les consentements individuels qui sont à la base de la société conjugale ont une importance majeure, dont la notion de contrat rend énergiquement compte ; mais l’usage des peuples civilisés, la nature de la volonté divine ont fait du mariage un contrat sui generis et rendu sans péril le rôle de la liberté qui s’arrête dès le moment où le lien est formé »190. Voici comment l’éminent auteur résume la pensée de l’Église sur le débat entre contrat et institution. Il s’agit aussi d’une vision extrêmement positive, normative, du mariage. La notion contractuelle est là pour rendre compte de la liberté du consentement, c’est la partie «  droit subjectif  », en revanche l’état conjugal se définit par un corps de règles impératif (divin et civil) excluant la «  liberté  ». C’est, dans le sens de Rouast (que Le Bras cite), un mélange de contractuel et d’institutionnel. 524. En traitant de l’institution, Hauriou désirait avant tout faire un « essai de vitalisme social  », comme l’indique le sous-titre de son article. Or rien ne semble plus froid, plus mort, que l’ensemble logique de règles abstraites auquel on souhaite réduire l’institution. L’intérêt de l’institution était d’atténuer le dualisme entre l’objectif et le subjectif en le rendant complémentaire : l’« idée » de la famille « informant » le milieu social, prenant corps chez les époux par leur communion à la fois objective et subjective en celle-ci. Il s’agissait d’une tentative d’hylémorphisme juridique, c’est-à-dire comme le désirait encore une fois Hauriou (dans des termes bergsoniens), un « vitalisme » juridique. 525. Les civilistes ne reprendront pas cet héritage191 (il en ira différemment chez les publicistes192 et chez les sociologues193). C’est sans doute le doyen Carbonnier, peut-être involontairement, qui donnera à la théorie son «  coup de grâce  » par cette simple phrase  : «  il est permis de se demander si la logique de la notion d’institution ne postule pas le divorce, une institution n’étant plus qu’un cadavre, bon à dissoudre, dès lors qu’elle n’est plus apte à atteindre ses fins
187. Idem, p. 528. 188. Ibidem. 189. P. Esmein dans Aubry et Rau, Droit civil français, 7e éd., t. 7, 1962, op. cit., p. 11. 190. Le Bras, « Mariage », D.T.C., op. cit., col. 2293. 191. Notons seulement une intéressante étude touchant à ce thème : X. Labbée, Les rapports juridiques dans le couple sont-ils contractuels ?, Presses de l’Université Charles De Gaulle/Lille III, 1996. 192. M.-P. Deswarte, Essai sur la nature juridique de la République, Constitution, institution ?, Paris, L’Harmattan, 2003, reprend l’héritage du juriste-philosophe toulousain ; à noter aussi la courageurse position d’Yves Depigny, «  L’institution est morte, vive l’institution  !  », RRJ, 2010 – 1, pp. 91-93. 193. H. Schelsky, qui se réclame d’Hauriou, (« Zur soziologischen Theorie der Institution », dans Zur Theorie der Institution, 1970), voir Carbonnier, Sociologie juridique, op. cit., p. 120 et p. 144.
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