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ENTRE AMOUR ET DROIT : LE LIEN CONJUGAL DANS LA PENSÉE JURIDIQUE MODERNE

34. Il ne reste rien de la conception classique du lien : il n’y a plus d’association entre le domaine spirituel et le domaine temporel, mais la séparation irréductible entre un homme « intérieur » religieux, où domine la liberté de conscience, et un homme « extérieur » soumis aux décisions de l’autorité temporelle. Luther nie toute compétence de l’Église en matière matrimoniale, à cette fin il s’attaque à la racine même de la compréhension catholique du lien : il refuse au mariage la dimension sacramentelle : « aucun texte de l’Écriture ne permet de considérer le mariage comme un sacrement […] il n’est dit nulle part que quiconque prend femme reçoive quelque grâce de Dieu. Et, dans le mariage, aucun n’a été établi par Dieu. On ne lit nulle part non plus que Dieu ait conféré au mariage quelque signification, bien que tout ce qui se fait de visible puisse être compris comme une figure et une allégorie des choses invisibles. Mais une figure ou une allégorie ne sont pas des sacrements, dans le sens où nous parlons des sacrements »35. Luther refuse le mélange du sacré et du profane, pour lui (comme d’ailleurs pour Érasme), ce fut une erreur de traduire le terme grec « mystère » par le terme latin « sacramentum »36 dans le fameux passage de Paul (Éph. V, 31-32). Cette remarque n’est pas anodine, elle ne témoigne pas seulement de la propension qu’a l’humanisme de critiquer les sources, elle correspond au besoin de bien séparer la sphère religieuse de la sphère temporelle. Derrière le terme de sacrement, il y a l’idée d’un rapport étroit et bien réel entre quelque chose de purement naturel et quelque chose de surnaturel, de sacré, une alliance « physique » de la nature avec la surnature. Dans le terme de mystère au contraire, ne demeure que l’image, l’allégorie : « ainsi le Christ et l’Église sont un mystère, ce qui signifie qu’il y a là une chose secrète et grande qui pouvait et qui devait assurément être figurée par le mariage comme par une allégorie tangible sans qu’il résulte de là que le mariage doive être qualifié de sacrement »37. La critique de traduction est le témoignage d’une volonté de sécularisation du lien. 35. Le mariage doit donc être envisagé uniquement sous son aspect « naturel », c’est-à-dire tel que Dieu l’a institué dans la création, sans ajouter autre chose : « ici doit donc disparaître cette rigueur des empêchements38 déduits des liens spirituels,
plus honteux que le nôtre à cause du droit canon et du droit civil ; le résultat en est qu’aucun état ne se conforme plus à la raison naturelle [qui n’est autre chez Luther que la volonté subjective], pour ne pas parler de la Sainte Écriture ». 35. M. Luther, Le Prélude de Martin Luther sur la captivité babylonienne de l’Église, dans Œuvres, Genève, Labor et Fides, 1958, t. II, pp. 163-260, p. 232. 36. Idem, pp. 233 et 234. 37. Idem, p. 234. 38. Les « empêchements » au mariage constituent en droit canonique tout un système de mesures visant à sanctionner (empêchements prohibants) ou même à invalider un mariage (empêchements dirimants) ; comme le veut la conception du droit à l’époque médiévale (le droit romain) la théorie des empêchements ne découle pas de la « systématisation d’un principe ou d’une idée préconçue. C’est peu à peu que s’est élaborée cette discipline faite de décisions pratiques, de directives qui souvent passèrent dans l’usage avant d’être inscrites dans des textes législatifs, et qui avaient pour auteurs : les papes, les conciles, la coutume, l’opinion d’un auteur estimé et même le simple sens chrétien » (A. Bride, art. « Empêchements de mariage » dans R. Naz, DDC, Paris, Letouzey et Ané, 1935-1965, 7 t., t. 5, col. 266). On peut cependant dire que « la liste des empêchements dirimants est définitivement arrêtée au moins à partir du XIIIe siècle » (l’ouvrage fondamental dans sa perspective historique d’A. Esmein réactualisée par R. Genestal, Le mariage en droit canonique, 2e éd., Paris, Sirey, 1929, t. 1, p. 235). La question des empêchements dirimants est une question fondamentale

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