Biblio Histoire du droit - Entre amour et droit : le lien conjugal dans la pensée juridique moderne (XVI-XXIe siècles) - 84

PROGRESSIVE JUSTIFICATION DU POUVOIR DE L’HOMME SUR LE MARIAGE

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B. CONSÉQUENCE POUR LE LIEN CONJUGAL : UNE JUSTIFICATION PRÉVENTIVE DU DÉCRET 62. Cette évolution dans l’épistémologie juridique va se traduire par une évolution dans la conception du lien conjugal, c’est là son intérêt. Si en effet le droit est une certaine chose, une relation juste, il doit s’analyser dans le mariage comme un certain rapport équilibré entre l’homme et la femme. L’objectif de chacun des époux sera de faire en sorte que ce rapport soit le plus honnête possible – le plus Saint aussi, puisqu’il est un sacrement. Car c’est ce rapport, cette union, qui est à l’image – et donc doit être à la ressemblance – de l’union sacrée entre le Christ et l’Église148. Cette union entre les époux, chez saint Thomas, a comme le droit une certaine réalité, même si elle n’est pas matérielle. C’est dans cette réalité conjugale qu’il faut chercher « le juste » entre les époux. C’est sur ce point précis que Soto diverge. Le fondement, l’essence du lien conjugal réside chez lui dans l’obligation mutuelle à une perpétuelle communauté de vie, c’est cette obligation, ce lien (vinculum), ce nœud (nexus) qui définit le mariage149. L’accent n’est donc pas mis sur l’union en tant que telle, mais sur l’obligation réciproque ; le mariage ne se déduit pas d’un certain rapport existant dans les faits, mais de la raison : d’une loi imposée par la volonté de chacun des époux. Le même basculement s’observe dans la conception du droit et dans la conception du mariage. C’est la soumission à un joug qui définit le lien conjugal, Soto le réaffirme après Scot qu’il cite ici à juste titre150 : le mariage est la mutuelle
applicable. Selon sa vision qui déjà est une vision moderne, comparaître en justice (en droit), signifie, de la part de l’homme portant plainte, savoir si oui ou non « son droit » peut être défendu, c’est-àdire savoir si la loi peut le défendre (Ibidem : « nempe ut actor rei nomen deferens, experiatur an jus sibi patrocinatur, ubi jus accipitur pro jure ipso vel pro lege »). Ainsi, le droit devient une sorte de modalité subjective de la loi. Pour le docteur angélique encore une fois, il n’est pas question de la loi dans l’acception du mot droit, aussi ne la fait-il pas intervenir. Ce que Soto considère ici comme une lacune n’est simplement, en réalité, que l’expression d’une autre épistémologie du droit. 148. Saint Thomas, Somme théologique, supp., op. cit., qu. 44, a.  1  : «  le mariage est-il une union  ?  », ad. 2, p.  77  : «  si la relation n’est pas un objet perceptible aux sens, ses causes peuvent être perçues par les sens. D’ailleurs, ce qui est réalité et signe à la fois dans les sacrements n’est pas nécessairement sensible : or c’est, précisément, l’union en question qui joue ce rôle dans le sacrement de mariage ». Image et ressemblance est une distinction classique en théologie médiévale, R. Javelet, Image et ressemblance au XIIe siècle, Université de Strasbourg, thèse pour le doctorat de théologie, 2 t., 1967 ; H. de Lubac, Le mystère du surnaturel, Paris, Aubier, « Théologie » n° 64, 1965, l’homme étant « naturellement » à l’image de Dieu, il doit chercher à lui ressembler ; pour l’évolution historique de cette distinction (assez éclairante dans l’analyse de la sécularisation) : H. de Lubac, Augustinisme et théologie moderne, op. cit. 149. D. Soto, Commentariorum in quartum sententiarum, t. 2, Ioannem et Andream Zenarium (fratres), Venetiis, 1589, d.  27, q.  1, a.  1, p.  109  : «  Quare nomen coniugii, et matrimonii supponit pro vinculo, nexu, et obligatione mutua, quae ex mutuo consensu exterius expresso, ad communem vitam enascitur » ; d. 27, q. 1, a. 2, p. 111 : « essentia enim matrimonii, ut dictum est, consistit, ut sint vir et foemina ad perpetua obsequia addicti, et devincti ». 150. J. Duns Scot, Questiones in Libr. Sentent., op. cit., pp. 383-385, traduction dans G. Mathon, Le mariage des chrétiens, Paris, Desclée «  Bibliothèque d’Histoire du christianisme  », 1993, t.  1, p. 236 : Pour Scot, le mariage est en un premier sens « l’obligation des conjoints née du contrat de mutuelle donation du pouvoir sur leur corps, d’un consentement mutuel persévérant en droit acquis sur leur corps pour procréer une descendance » et mieux encore, car intégrant le sacrement, le mariage est pour lui « un signe sensible d’une telle obligation propre entre conjoints pour procréer une déscendance à éduquer religieusement, signifiant, de par l’intervention divine, que la grâce est conférée aux contractants pour observer leur union dans le cadre d’un contrat perpétuel ».
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