Droit et société - La terre de l'autre - 122

LA TERRE DE L’AUTRE

structural dit « projet de société », dont on va rappeler les éléments constitutifs essentiels, en gardant sa formulation « rustique » 124 à l’origine de la théorie de l’analyse matricielle des systèmes fonciers africains qu’on détaillera par la suite.

Un projet de société « en communs », entre individualité et collectivité
Pour assurer sa reproduction, une société doit mobiliser chacun de ses membres et leur fixer une fin commune, donc partageable et qu’on qualifie génériquement de « projet » 125 ou de projet de société. L’individu et le collectif sont donc consubstantiels à l’aventure sociale, mais les projets qui prétendent les façonner (en se présentant généralement comme une avancée ou un progrès) reconnaissent à chacune de ces deux composantes de la société une part plus ou moins originale, comme s’il s’agissait de métaux qui, à travers différents alliages vont produire des matériaux chacun pertinent dans sa classe de fonctionnalité. Tant que la « fin commune » paraissait donnée de l’extérieur et imposée par « les ancêtres », « Dieu », le « Prophète » (etc.), donc peu discutable tant en théorie qu’en pratique, la problématique du projet supposant un choix et une projection sur le devenir était vécue « à l’état pratique » et sans activisme particulier. Chacun pouvait constater des variations entre les sociétés et les comparaisons avec les sociétés contemporaines révélaient parfois des traits communs, mais aussi des différences souvent tenus pour des oppositions radicales et des états de civilisation. C’est donc la modernité et plus explicitement encore la philosophie des Lumières dans la seconde partie du XVIIIe siècle qui introduisit l’idée d’un choix possible selon des contraintes qui ne seraient plus imposées par l’absolutisme mais acceptées démocratiquement, donc supposant de ruiner l’ancien ordre de la société fondée sur une inégalité « naturelle » entre trois États (Noblesse, Clergé, Tiers) pour y substituer un principe d’égalité : « Tous les hommes naissent libres et égaux en droits » (Art. 1, DDHC, 1789). C’est le Tiers État qui formula ce nouveau projet et qui, pour mieux ruiner la prétention de ses rivaux Noblesse et Clergé qui revendiquaient une place supérieure dans l’organisation de la société au nom de la tradition, associa l’individualisme et le progrès, c’est-à-dire l’individualisme comme condition du progrès tant matériel que moral et popularisera un couple bien connu des travaux sociologiques, l’individualisme et le holisme comme entité collective radicalement séparée de ses composantes. On pourra consulter les Essais sur
124. Quelles qu’en soient les imperfections, ces analyses ont conduit mon « Histoire des Institutions d’Afrique noire » (Brazzaville, École de droit, 1973, 1° éd. 1972) et sont restées au fondement de ma plateforme théorique systématisée dans Le jeu des Lois (Étienne LE ROY, 1999). 125. Il s’agit plus ici d’un dessin que d’un dessein. La notion de projet suppose dans ce type de société une architecture mais non une intentionnalité systématiquement mise en œuvre comme on l’observe dans les sociétés dites « prométhéennes ».

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 54, 2011

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