Droit et société - La terre de l'autre - 276

LA TERRE DE L’AUTRE

voie moyenne le pour et le contre du droit de propriété. Elle s’était construit un idéal qui se tenait droit par lui-même, un idéal de petite propriété qui avait son propre et triple fondement : philosophique, cette proximité de la nature que Rousseau, écologiste avant la lettre, avait magnifié ; moral, l’autarcie du petit domaine, éliminant les enjeux de l’économie marchande et la tentation corruptrice de l’argent ; politique enfin, l’égalité était retrouvée. » (1995, p. 276) Plus loin notre auteur ajoute, à propos de la vente des biens nationaux : « (a)u XIXe siècle, chez les juristes et les historiens, c’était l’opinion dominante que, grâce aux biens nationaux, toute une paysannerie sans terre avait pu accéder à la propriété. Mais notre époque interroge les faits avec moins de complaisance : beaucoup de ces acheteurs n’étaient-ils pas déjà nantis ? L’enrichissement n’a-t-il pas profité, plus qu’à tous autres, aux marchands de biens ? » (op. cit., p. 277) Ensuite, il faut poser l’aliénabilité comme le trait distinctif de cette institution depuis 1804 : « Il faut partir du postulat que la propriété est aliénable. Cette aliénabilité n’a pratiquement jamais été supprimée. Elle est le cœur du système individualiste et libéral de la propriété, la prérogative essentielle par laquelle peuvent s’évanouir les atteintes portées à toutes les autres prérogatives. » (Idem, p. 283) — Une quatrième caractéristique de la propriété est enfin qu’elle est perpétuelle. Ce qualificatif peut étonner : comment la propriété peut-elle être à la fois perpétuelle et aliénable ? C’est qu’il ne s’agit pas de confondre l’objet de la propriété, le fonds auquel est associé un statut qui est définitivement acquis dès lors qu’il a été reconnu et mis en œuvre d’une part, et, de l’autre, son usage discrétionnaire fait par celui qui détient le droit légitime de l’exercer. Cette conception de la propriété associée à la substance d’une chose devenant un bien en entrant dans la vie juridique est un héritage du droit romain dont on reparlera. Cet héritage explique deux traits que nous avions déjà occasionnellement aperçus : d’une part, dès qu’une relation juridique est reconnue comme propriété privée, ainsi dans les procédures d’immatriculation foncière dans les réglementations coloniales en Afrique (infra), ce statut est définitif et inattaquable ; d’autre part, les transferts de droits sont, par principe, « complets et définitifs ». Le Code Napoléon révélé par l’Afrique 213 À l’occasion de la célébration des deux cents ans de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, en 1989, on s’est donc interrogé sur la réception de l’article 17 de la déclaration et, plus largement, sur celle du Code civil. L’Association des Études Foncières (ADEF) m’avait ainsi demandé d’apprécier le degré de modernité que représentait le Code civil de 1804 vis-à-vis des usages
213. Étienne LE ROY, « Le Code Napoléon révélé par l’Afrique », Christian ATIAS et al., Un droit inviolable et sacré, la propriété, op. cit., p. 145-150.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 54, 2011

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