Droit et société - La terre de l'autre - 280

LA TERRE DE L’AUTRE

le régime est constamment soumis à ceux-là. On peut en déduire que le rédacteur a pour objectif, d’abord, de proclamer la supériorité du régime des immeubles sur les meubles puis, celle du fonds de terre sur les autres immeubles. L’influence de l’école des physiocrates est encore visible dans le texte de Code civil. Dans ce domaine, le code a vieilli car la propriété mobilière a pris une place sans commune mesure avec celle que le code prévoyait (infra, chapitre 6). Je considère que ce double mouvement d’inscription des choses dans la logique de l’immeuble puis dans le primat du fonds de terre a pour fonction d’enfermer la diversité dans un principe d’unité pour produire ce que j’avais qualifié d’unitarisme. Il y a là réduction et inscription du multiple dans un principe (ici la propriété privée) qui en paraissant s’imposer logiquement donne sens et cohérence à l’ensemble ainsi constitué. L’objectif était, selon une expression d’Anne-Marie Patault, « d’effacer le dualisme de notre droit de l’immeuble (fondé sur) deux types de maîtrise opposés, l’un organisé sur la solidarité, l’autre sur la liberté » (2003, p. 1258). Il s’est donc agi d’abandonner la technique coutumière « de partage des utilités de l’immeuble » au nom de la liberté du particulier. Mais, l’unicité de la propriété affirmée dans l’article 544 ne cesse d’être non seulement contournée ou détournée (par des textes restrictifs) mais aussi contestée au nom d’une nouvelle vision de la propriété plus en rapport avec les enjeux du développement durable. Jean Carbonnier parle à ce propos de « droit-fonction où les pouvoirs sont conditionnés par les devoirs (…) le droit de propriété ne saurait être exercé contrairement à l’utilité sociale (ou doit) être ordonné au bien commun » (1994, p. 284). La doctrine juridique souligne donc de manière unanime le recul de l’exclusivisme et de l’absolutisme, parfois pour le regretter ou pour dégager des perspectives plus humanistes comme chez Jean Carbonnier. Cet auteur écrit. « Aussi souligne-ton dans le droit de propriété un caractère personnel dont faisait fi l’esprit pécuniaire d’autrefois. La notion est vague. Elle évoque comme essentielle au droit de propriété une imprégnation de la chose par l’homme : la propriété ne pourrait se légitimer que dans la mesure où l’homme peut y mettre l’empreinte de sa création ou de son utilisation personnelle. Mais, également, une certaine imprégnation de l’homme par la chose : la personne ne pouvant pas être arrachée sans souffrance à ses entours de biens familiers » (Ibidem). L’intérêt de la citation tient moins à la précision de l’analyse qu’à l’invocation d’une pluralité de représentations qui doivent être prises en considération quand on cherchera à concevoir une théorie compréhensive de l’appropriation intégrant les exigences du développement durable. Car ce sera notre dernière observation, le monologisme du droit de propriété affirmé par le Code civil n’autorise pas à formuler une approche de la fonction protective de la terre et de ses ressources analogue à la théorie anglaise du stewardship ou surintendance de la nature. On verra ainsi, dans le chapitre suivant puis dans la quatrième partie, pourquoi il conviendra de déplacer la réflexion du champ de la propriété à celui du patrimoine, comme notion rectrice à même de relever les défis qui sont ceux de l’époque contemporaine.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 54, 2011

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