Droit et société - La terre de l'autre - 298

LA TERRE DE L’AUTRE

doit être masquée si elle est pratiquée pour ne pas encourager une administration dont l’objectif est, à propos du cadastrage, « de permettre la circulation des terres, laquelle est susceptible d’être taxée (…) et n’a effectivement rien de commun avec la thématique de l’accueil par intégration ou par alliance (…) (152) qui faisait la qualité de vie polynésienne. L’intervention du navigateur Éric de Bisschop dans la réalisation de deux cadastres, à Rurutu en particulier, est présentée avec la distance critique suffisante, l’ethnocentrisme dont fait preuve malgré ses « bonnes intentions » celui-ci étant, malheureusement, la maladie la plus généralement observée tant à cette époque que dans ce contexte. Le droit constate des armistices sociaux (Hauriou) L’observation des pratiques judiciaires (et des audiences foraines en particulier) permet à l’auteur d’aboutir à une première conclusion que des magistrats français de Nouvelle Calédonie pourraient sans doute partager : « Mise à part une confusion sur la conception même de la propriété (avec l’utilisation du terme indivision), il est notable que les règles de droit étatique ne revêtent pas le caractère obligatoire quant aux reconnaissances de propriété et aux partages de terres entre les individus et les groupes en présence. Une autonomie toute relative est laissée aux groupements dans l’élaboration de leurs revendications et dans le choix que ces derniers entendent revendiquer ou partager » (p. 166). En effet, l’État français n’entend ni déroger à ses principes ni reconnaître l’originalité du droit foncier polynésien. Mais, dans la mesure où ce droit polynésien est devenu « un enjeu fondamental » (note 223, p. 166), l’État doit fonctionnellement adapter ses modes d’intervention à la réalité locale. Nous sommes donc depuis ces dernières années en face d’un double mouvement d’adaptation réciproque entre les populations et l’État, mouvement que j’ai tendance à résumer dans une théorie de l’accommodation. Ce terme est utilisé par l’auteur dans le dernier tiers de son ouvrage et fait référence aux travaux de Raymond First, un des plus importants auteurs de l’anthropologie économique océanienne, qui cherche à analyser comment on peut rendre compatible des solutions différentes mais autorisant des actions viables et impliquant des changements de statut et le respect des valeurs proclamées : « parce que la culture est un continuum, certains problèmes d’accommodation peuvent être résolus une fois pour toutes. Mais, dans beaucoup de situations, des tensions se répètent et doivent être résolues encore et encore, indépendamment de savoir comment les mêmes situations ont été résolues dans le passé » (Firth, 1965 cité par T. Bambridge, 2009, p. 297 et note 361). On s’accommode aux circonstances mais on accommode aussi les principes aux pratiques, et réciproquement, avec une créativité plus ou moins grande selon qu’on peut y associer une lecture interculturelle du processus en cours. Mais aussi avec une violence plus ou moins maîtrisée, le degré premier de cette violence « accommodée » étant l’évitement des parties en conflit, ce qui est particulièrement difficile sur des îles aussi petites. « L’intervention de l’État dans l’organisation locale, rendant le processus d’intégration obsolète, a favorisé la concentration des tensions foncières

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 54, 2011

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