Droit et société - La terre de l'autre - 342

LA TERRE DE L’AUTRE

Les fondements de la théorisation des maîtrises foncières
Nous allons suivre les étapes de cette théorisation à travers quelques documents s’étageant entre 1983 et 1993 et qui nous informeront des choix de modélisation qui ont été réalisés. Quatre documents fondateurs Le colloque de Saint Riquier « Pratiques foncières locales » de 1983 Le point de départ de la réflexion me paraît pouvoir être trouvé dans un document introductif 256 au deuxième colloque du réseau de chercheurs sur la question foncière en Afrique noire (RICQFAN) qui devait se tenir initialement à Bobo-Dioulasso en Haute Volta et fut déplacé précipitamment, à la demande de notre financeur, le ministère français de la Coopération, à Saint-Riquier, en Picardie, suite au coup d’État du capitaine Thomas Sankara en août 1983. La problématique du colloque étant principalement centrée sur la rencontre, le plus souvent conflictuelle, de deux modes de penser l’espace et les rapports fonciers, la « matrice archaïque » et la « matrice capitaliste » (supra, 1re partie), nous proposions aux participants d’examiner trois possibilités et, pour chacune, des hypothèses particulières. La première possibilité était la pérennité de la matrice archaïque (au sens de très ancien) et la deuxième son remplacement par la matrice capitaliste. Ces deux situations pouvaient être localement ou circonstanciellement pertinentes mais ne paraissaient pas avoir à l’échelle locale la généralité que la littérature de l’époque pouvait leur prêter. Une troisième situation semblait aux organisateurs de la rencontre beaucoup plus stimulante : de la confrontation entre les deux matrices et en intégrant le long terme car de tels processus n’opèrent que lentement, on pouvait deviner « une troisième matrice spatio-temporelle. Cette émergence peut être analysée à l’horizon de l’an 2000 comme constitutive de cette fameuse “voie africaine du développement”, annoncée depuis une vingtaine d’années par idéologues et hommes politiques. Dans cette hypothèse, les pratiques foncières sont nécessairement dotées de significations nouvelles mais toute la gamme des interprétations est possible » (1983, p. 29). Ce texte est intéressant moins par sa capacité de prédiction, honorable mais sans plus, que par quelques idées qui vont faire leur chemin. Tout d’abord l’idée de confrontation « normale » entre des types de régulations héritées de l’histoire, ensuite un produit, une création originale (qui n’apparaitra pas là et sous la forme qu’on supposait, évidemment), ouvrant enfin à une pluralité de choix. Or, le colloque lui-même n’a pas permis de trancher et dans l’ultime paragraphe de la conclusion générale de la publication, les éditeurs scientifiques notent que « manifestement, l’ensemble des textes de Saint-Riquier concluent dans
256. RICQFAN, 1983, Les pratiques foncières locales dans la production et la reproduction de l’espace en Afrique noire, LAJP et ORSTOM, Paris, CESAO Bobo Dioulasso et CNRST, Ouagadougou, 33 p. Ces travaux ont été publiés par Bernard Crousse, Émile Le Bris et moimême sous le titre Espaces disputés en Afrique noire, pratiques foncières locales, Karthala. Paris, 1986.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 54, 2011

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