Droit et société - La terre de l'autre - 43

REPRÉSENTATIONS D’ESPACES ET ESPACES DE REPRÉSENTATIONS DE L’APPROPRIATION FONCIÈRE

Dans « L’Idéel et le matériel », M. Godelier consacre, sous le titre « Territoires et sociétés dans quelques sociétés précapitalistes », un chapitre où il expérimente ces niveaux d’analyses. On retrouvera ces analyses dans la suite de cette partie, à propos des représentations du territoire et dans la mesure où notre anthropologie de la juridicité recoupe sa problématique qui est celle d’une anthropologie économique, c’est-à-dire l’étude des « conditions sociales de production ». Je crois cependant utile de résumer, pour bien confirmer la plateforme théorique de la recherche ce que cet auteur dénomme être « cinq points fondamentaux » et que l’on peut traiter comme des postulats. 1°— « la propriété peut s’appliquer à n’importe quelle réalité tangible et intangible » (p. 104) ; 2°— « Les règles de propriété se présentent toujours comme des règles normatives (…) simultanément, prescriptives, proscriptives et répressives » (p. 105) ; 3°— « Les règles de propriété se présentent sous la forme de systèmes qui reposent simultanément sur plusieurs principes différents, voire opposés « (p. 107) ; 4°— « Les systèmes de droits de propriété distinguent toujours avec plus ou moins de précision la qualité (et par suite le nombre) de ceux qui possèdent des droits et lesquels » (p. 110) ; 5°— « Une forme de propriété n’existe que lorsqu’elle sert de règle pour s’approprier concrètement la réalité. La propriété n’existe réellement que lorsqu’elle est rendue effective dans un procès d’appropriation concrète et par lui » (p. 111). On constatera que ces points correspondent aux principes que nous avions dégagés à propos des régimes d’appropriation dans l’Introduction générale, avec une limite et un apport neuf. Peut-on ne pas distinguer entre propriété et propriété privée, donc ne pas envisager spécifiquement cette dernière quand on traite de l’appropriation de la nature en général, de la terre en particulier ? Sans doute le propos de l’auteur ne porte-t-il que sur des sociétés précapitalistes où la propriété privée de la terre ne se pose pas, en principe. Mais les risques d’ethnocentrisme y sont importants pour un lecteur non prévenu 51. Le premier point rappelle une vérité qui semble évidente, mais il est effectivement indispensable de rappeler ce principe qui a des implications essentielles dans le traitement juridique. Ce n’est pas en effet parce qu’une société contrôle strictement l’exo-inaliénabilité de la terre donc limite l’exercice d’un droit de propriété foncière qu’elle ignore la propriété privé dans d’autres domaines, voire même pour des fonctions foncières qui peuvent être détachées du fonds de terre, tels des services fonciers équivalant à des servitudes. Une étendue peut
51. Peut-être y a-t-il aussi là les traces d’une prévention des anthropologues à l’égard des juristes dont Maurice Godelier considère devoir « laisser leurs thèses et hypothèses de côté » (1984, p. 99). Il partage cette prévention avec Claude Lévi-Strauss, mais elle peut conduire à rejeter les questions juridiques avec les thèses des juristes et, en privilégiant une conception économique de la propriété, à ne retenir qu’une des dimensions du problème.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 54, 2011

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