Droit et société - La terre de l'autre - 46

LA TERRE DE L’AUTRE

siècle, notre planète s’en plaint par des crises qui affectent tant notre environnement que nos économies ou nos projets de société. À la manière de Galiléo Galiléi qui, condamné, n’aurait pu, selon la légende, s’empêcher de s’écrier « e pur, si muove », « et pourtant, elle (la terre) se meut », nous devons nous écrier « et pourtant, c’est bien la pluralité qui doit être l’alpha et l’oméga de nos raisonnements ». Nous devons ainsi constamment nous convaincre que la pluralité et la complexité sont et resteront la norme de nos constructions sociales, donc doivent le devenir pour nos productions scientifiques. Parmi les témoins que nous pouvons mobiliser, nous en convoquons deux qui représentent des modalités différentes d’approche de cette pluralité en relation avec l’objet de cette partie, les représentations de l’espace. La pluralité de cadres référentiels, de « mondes, a été traitée par les sociologues français Luc Boltanski et Laurent Thévenot sous le terme de « cités » et par l’anthropologue indo-américain Arjun Appadurai sous l’appellation de « paysages ». La démarche des sociologues consiste :
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« à considérer que les êtres humains, à la différence des objets, peuvent se réaliser dans différents mondes. Il s’agit, disent-ils, d’étudier la possibilité d’arriver à des accords justifiables sous la contrainte d’une pluralité d’accords disponibles (...). Il faut donc renoncer à associer les mondes à des groupes et ne les attacher qu’aux dispositifs d’objets qui qualifient les différentes situations dans lesquelles se déploient les activités des personnes lorsqu’elles mettent ces objets en valeur. Or, dans une société différenciée, chaque personne doit affronter quotidiennement des situations relevant de mondes distincts, savoir les reconnaître et se montrer capables de s’y ajuster 57. » Ces auteurs proposent ainsi de distinguer entre cinq « mondes », dits aussi « cités » parce que liées à des types de constructions politiques. Citons, de manière nécessairement elliptique, « la cité inspirée » des penseurs et des artistes, fondée sur « un principe de créativité », « la cité domestique » qui « renvoie à l’art des relations familiales, à la tradition et au respect des règles », « la cité d’opinion » qui « vise à la reconnaissance sociale ». La quatrième cité est « civique » et l’action y est justifiée par « la recherche de l’intérêt général ». Enfin, la cinquième cité est « industrielle », dominée par « l’impératif de l’efficacité et de la productivité ». À ces cinq cités, Philippe Bernoux a proposé d’en ajouter une sixième, la « cité marchande » qui « justifie son action par le donnantdonnant de l’échange commercial 58. » (Bernoux, 1996, p. 48) Ces distinctions n’ont sans doute pas la généralité que les auteurs semblent leur prêter et aucune typologie ne saurait épuiser la réalité dès lors qu’elle s’efforce d’enfermer dans des catégories figées ce qui relève de la dynamique
57. Luc BOLTANSKI et Laurent THEVENOT, De la justification, les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, coll. « NRF. Essais », 1991, p. 266. 58. Philippe BERNOUX, « Sociologie des organisations, nouvelles approches », Sciences humaines, n° 64, 1996.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 54, 2011

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