Droit et société - La terre de l'autre - 86

LA TERRE DE L’AUTRE

groupe d’âge, trois pierres pour tenir la marmite sur un feu de bois et faire la cuisine… C’est ce que m’enseignait aussi la légende de fondation de l’Empire du Djolof à l’origine de la société des Wolof du Sénégal 90. Mais les visions du monde ne se limitent pas à ces trois archétypes et, dans la pratique contemporaine, nos sociétés multiculturelles et pluriconfessionnelles associent et parfois confrontent ces différentes références avec souvent de grandes difficultés de communication dès lors que les clés d’interprétation ne sont pas fournies par une éducation interculturelle appropriée, ce que tente le Canada par exemple. Dans le chapitre « Visions du monde, théorie des pouvoirs et représentations du droit » de l’ouvrage de l’AFAD 91, Christoph Eberhard et moi-même avons ainsi proposé, sans prétendre être exhaustifs, deux archétypes complémentaires. L’un est associé, pour prendre en considération l’expérience « indienne », à la vision dharmique du monde selon un archétype que nous avons qualifié de la « complétude », l’autre est liée à une approche post-moderne du monde et est dénommé archétype de la rationalisation. Chacun constitue en luimême une illustration originale de la créativité et de l’imaginaire de l’homme. Mais, ils n’apportent pas directement d’innovations à la structure symbolique que nous cherchons ici à mettre au jour. En effet, tant la conception dharmique que l’archétype de rationalisation combinent les principes d’unité, de dualité et de pluralité, le premier par la recherche d’un équilibre qui aboutit finalement à la conjonction plurielle des composantes et le second par une redécouverte de la pluralité lorsque le principe moderne de l’unité ne peut plus satisfaire aux exigences de la complexité. Le formatage unitariste, dualiste ou pluraliste de la juridicité M’aventurant ici dans des interprétations périlleuses dans lesquelles les généralisations hasardeuses peuvent aboutir à l’effet contraire à celui recherché, je m’en tiendrai à mon domaine d’expertise, la juridicité et encore avec une certaine prudence qui tient moins au refus d’un engagement ou d’une affirmation qu’à la découverte progressive que toute pensée, en particulier en transmodernité, peut combiner plusieurs de ces explications. Ainsi n’y a-t-il pas d’enchaînement mécanique ni de stéréotypes mais plutôt ce que Max Weber caractérisait comme un idéal-type, une explication qui rend compte d’une situation particulière, qui en restitue les traits les plus saillants mais qui ne prétend pas en dire tout, pour tous et à tout moment. Pour nous, concernés par l’analyse foncière, cette lecture propose d’identifier des tendances, des cheminements conceptuels, des analogies peu critiquées. Elle peut au90. Étienne LE ROY, Pouvoir et société en Sénégambie, du lamanat Serer au Royaume Wolof du Cajor (XIVe au XVIIIe siècles), note de recherche, LAJP, Paris, 1979. Étienne LE ROY, « L’Islam confrérique, la tradition politique wolof et l’appareil de l’État moderne du Sénégal », communication au colloque Sacralité, pouvoir et Droit en Afrique, 2-5 janvier 1980, LAJP, Paris. 91. AFAD, Anthropologies et droits, état des savoirs et orientations contemporaines, Dalloz, Paris, 2009, p. 140-144.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 54, 2011

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