Bibliothèque de finances publiques et fiscalité - Les doctrines financières publiques en France au XIXe siècle -1 - 33

INTRODUCTION

entrons dans la période moderne, cela devient progressivement insoutenable. Arrivés à l’époque qui nous concerne, le XIXe siècle, nourri de confiance dans la Raison et vouant un culte à la science, les opinions et théories doctrinales ne peuvent absolument pas être dogmatiques – quand bien même elles seraient porteuses de valeurs et de partis pris. Nous aurons l’occasion de le constater à la lecture des écrits financiers publics participant à la formation disciplinaire de la matière. 51. Ceci étant, la question de ce qui fait doctrine n’est toujours pas résolue – et il n’est pas impossible que la parenté passée avec le dogmatisme joue encore dans sa définition. Il est temps, à présent, de s’intéresser à l’étymologie du mot « doctrine ». Le Grand Robert propose le mot latin doctrina, enseignement, science, lequel dérive du verbe docere, enseigner. La doctrinalité n’est pas une affaire simplement de science, elle est aussi stratégie de transmission. Il y a sans doute là un deuxième critère qui devrait nous aider à identifier ce qui fait doctrine. 52. À l’époque de la doctrinalité dogmatique, l’enseignement est affaire des hommes de foi. Les notions sont donc en cohérence ; mais s’agissant du mot « doctrine », la langue française du Moyen Âge laissait entendre beaucoup plus fortement que le français d’aujourd’hui le rôle d’enseignement de la doctrine. Aujourd’hui, nous percevons ce sens par héritage historique et par construction intellectuelle ; vers les xiiie et xive siècles, les significations du mot « doctrine », depuis complètement disparues, disaient d’elles-mêmes cette fonction pédagogique. Si on regarde la définition du mot dans le dictionnaire Godefroy, un dictionnaire d’ancien Français établi entre 1880 et 1902, les sens proposés sont très éloignés de ceux qui nous sont familiers. La doctrine, c’est d’abord, une école publique – c’est-à-dire le lieu où se transmet alors le dogme ; le second sens proposé montre encore la prégnance morale ambiante, puisque la doctrine fait office de châtiment23 – il s’agit donc d’infliger une leçon ; enfin doctrine signifie savoirvivre et bonne éducation24. Ce n’est que dans le complément à son dictionnaire que Godefroy propose le quatrième sens possible : « ensemble de connaissances acquises que quelqu’un possède ; ensemble de notions proposées par quelqu’un comme devant être enseignées sur une matière ». 53. Ces quatre sens originels du mot renvoient tous, d’une manière ou d’une autre à la transmission d’un savoir – voire d’un savoir-vivre, d’une moralité. Ils sont porteurs aussi, d’une certaine manière, de la notion d’autorité : l’école est le lieu où s’exerce l’autorité du maître, le châtiment est infligé en vertu de l’autorité du juge, les bonnes manières soumettent les penchants naturels à l’autorité des codes et des valeurs de la société. Le lien entre transmission du savoir et autorité semble d’ailleurs s’y dessiner assez nettement. 54. Ce rapide survol philosophico-étymologique de l’idée de doctrine semble converger vers celle d’autorité. La dogmatique, qui lui était originellement liée, est un discours d’autorité ; l’enseignement, quand il était explicitement très présent
23. Ce sens s’est complètement perdu et il ne présente aucun élément intuitif permettant, comme le premier sens proposé par Frédéric Godefroy, de le rattacher à quelque chose qui nous serait un tant soit peu familier. Le dictionnaire illustre par cet exemple : « Icellui Danois… prinst deux vergerons de saulx, et l’en bati à nu par les fesses, par manière de doctrine et de chastoy » (1389, Arch JJ. 135, pièce 237). 24. « La manière et ordonnance et la belle doctrine et contenance de ceste jœune fille de France plot grandement. » (Jean Froissard, Chroniques, XV, 186, Kerv.).

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