Bibliothèque de finances publiques et fiscalité - Les doctrines financières publiques en France au XIXe siècle -1 - 331

TRANSFORMATION ET APPROFONDISSEMENTS DES MISSIONS DE L’ÉTAT

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considérations ni de justice ni même d’équité. Reprenons par exemple le cas des boissons alcoolisées ; hors régime spécifique comme pour la bière, elles sont soumises aux droits de gros, d’entrée et détail. « C’était un système très injuste. Une pièce de vin pouvait être imposée une seule fois si le vigneron la vendait à un particulier, deux fois si elle était adressée à un marchand en gros qui la revendait luimême à un particulier, trois fois si elle était adressée par le marchand en gros à un cabaretier qui la débitait à ses clients. L’ouvrier qui allait boire un verre de vin dans un estaminet payait donc plus d’impôt que le bourgeois qui achetait des barriques entières chez un récoltant. »24 Selon donc le contexte de consommation du vin, il fallait s’acquitter d’une à trois fois de l’impôt… 1344. En outre, l’inégalité face à l’impôt se trouvait encore établie à un autre niveau, qui a été conceptuellement perceptible surtout dans le dernier tiers du siècle. Sans doute, le raisonnement marginaliste, permis par le développement des outils d’analyse algébrique, est-il au cœur même de la conception progressive de la justice fiscale – on a eu l’occasion de la signaler moult fois déjà ; mais il n’est pas sans intérêt de relever qu’on a aussi pu, tout en étant résolument hostile à la progressivité, utiliser ce type de raisonnement pour critiquer la fiscalité indirecte au nom de la proportionnalité de l’impôt. On se rappelle que telle était l’argumentation de Ricardo Dalla Volta : si la justice fiscale repose sur la proportionnalité de l’impôt – ce que cet auteur défend – alors la fiscalité indirecte, qui en part relative de leur ressource disponible, frappe davantage les couches les plus pauvres des contribuables, est un obstacle à la justice fiscale. 1345. À ce stade, deux choses sont tout particulièrement intéressantes à relever. 1346. Tout d’abord, remarquons que dans le débat sur la proportionnalité et la progressivité de l’impôt, les tenants de l’une comme de l’autre approche ont pu invoquer l’argument de la justice fiscale… Comme le note Gabriel Ardant, « pour d’aucuns, il ne s’agissait pas de corriger l’inégalité sociale par l’impôt, mais simplement de rétablir la proportionnalité de la charge fiscale »25. De là, on peut dire que cette question de la justice fiscale appelle des réponses sans doute moins univoques qu’un siècle auparavant, mais aussi qu’elle a pris une importance accrue dans le processus de prise de décision publique – puisque finalement, le débat tourne autour du point de savoir quelle est la meilleure conception de la justice fiscale. 1347. Mais aussi, si on relisait maintenant les quelques lignes de la prise de position de Ricardo Dalla Volta que nous évoquions plus haut, nous serions sans doute frappé par un petit bout de phrase passé presqu’inaperçu tout à l’heure, mais qui prend à présent une résonance particulière : « malgré les indéniables progrès de la science et de l’art financiers, la justice dans les impôts reste un desideratum… » : la question de la justice fiscale a sans doute pris une importance nouvelle, du fait que les réponses possibles sont beaucoup plus complexes et nuancées qu’auparavant ; et avec cette question, la science et l’art financiers se posent comme désormais indispensables, car ce n’est que par eux que pourra s’affirmer et triompher la justice fiscale. 1348. Autrement dit : l’état des problématiques financières au tournant des XIXe et XXe siècles appelle le développement de la science et de l’art des finances, c’est-à-dire appelle le développement des finances publiques en tant que champ disciplinaire…
24. Gabriel Ardant, Histoire de l’impôt, t. 2, Fayard, 1972, p. 305. 25. Gabriel Ardant, Histoire de l’impôt, t. 2, Fayard, 1972, p. 367. C’est l’auteur qui souligne.

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