Hors collection - La Constitution marocaine de 2011 - 350

` ` ´ 346 LES REGLES RELATIVES A LA REVISION CONSTITUTIONNELLE

ce qu’est une Constitution. Dans un autre genre, mais sur le même objet, on pourrait évoquer aussi ce que l’on a appelé, à la suite de Michel Debré, la « théorie des deux lectures de la Constitution » de 1958 3. Cette dernière, fidèle à celui qui en fut le principal rédacteur, pourrait tout aussi légitimement être lue et appliquée sur un mode parlementaire que sur le mode semi-présidentiel imposé par le général De Gaulle dès 1959. Mais on pourrait aller plus loin, et ajouter qu’à partir de ce texte, bien d’autres lectures seraient également possibles, et ont d’ailleurs été avancées, à des époques différentes : une lecture « sénatoriale » 4, par exemple, mais aussi une lecture rousseauiste ultra-démocratique comme celle que préconisent les « gaullistes de gauche » 5, une lecture crypto-maurrassienne 6, ou encore, une lecture néo-bonapartiste basée sur une interprétation extensive de ` l’article 11. A la rigueur, on pourrait affirmer qu’il y a autant de lectures possibles que de lecteurs, sans qu’aucune d’elles ne s’impose de façon absolument objective et irrécusable. Ainsi, le contenu même de la Constitution, à l’exception toutefois – et c’est à cela que l’on voulait en venir – des dispositions relatives aux procédures de révision, ne dit-il pas longuement sur la réalité de ce qu’elle recouvre. Non certes que ces règles échappent tout à fait à ce qui paraît être le destin ordinaire des normes constitutionnelles. Sous la Ve République, le spectaculaire détournement de l’article 11, utilisé en octobre 1962, en dépit de l’évidence juridique et de l’avis presque unanime des légistes, pour faire adopter la révision relative à l’élection du président de la république au suffrage universel direct, en est la preuve frappante. Mais en même temps, ce fameux cas de figure confirme, en négatif, la singularité des règles relatives à la révision. Entre son arrivée au pouvoir en 1958 et l’automne 1962, le général De Gaulle n’avait eu de cesse de transgresser les normes constitutionnelles. Pourtant, aucun de ces innombrables « micro-coups ´ d’Etat », parfois lourds de conséquences 7, n’a eu la visibilité de celui-ci, et aucun d’entre eux n’a suscité une levée de boucliers aussi générale, le président du Sénat, Gaston Monnerville, allant jusqu’à prononcer le mot terrible de forfaiture 8. C’est que les dispositions relatives à la révision sont plus difficiles à transgresser frontalement que les autres, en raison de leur caractère procédural et des précisions qui les caractérisent. Si, par exemple, des concepts
3. Michel Debré, Trois républiques pour une France, tome 2, 1946-1958, Paris, Albin Michel, 1988, p. 417. 4. Marcel Prélot, Pour comprendre la nouvelle constitution, Paris, Le Centurion, 2e édition, 1959, pp. 46 et s. ´ 5. René Capitant, Ecrits constitutionnels, Paris, éditions du Centre national de la recherche scientifique, 1982, pp. 353 et s. 6. Cf. Frédéric Rouvillois, « Pierre Boutang et la Ve République », in Antoine-Joseph Assaf, ˆ Pierre Boutang, Les Dossiers H, Lausanne, L’Age d’Homme, 2002, pp. 138 et s. 7. On songe par exemple à la mise en œuvre manifestement inconstitutionnelle de l’article 16 entre avril et septembre 1961. 8. Gaston Monnerville, « Ce référendum est une forfaiture », Revue politique et parlementaire, no 727, octobre 1962, pp. 5-6.
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