Manuels - Introduction historique au droit (XIIIe-XXe siècle) - 4e - 64

INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT le premier à en subir les effets. Le peuple fait la loi, mais en est le sujet148. Le peuple est une foule, une « multitude », mais « réunie pour vivre ensemble ». Ce double aspect, social et juridique, avait déjà été vu par saint Augustin : « la Cité est une multitude d'individus liés par un lien de concorde ». Les romanistes de la fin du XIIe siècle, sceptiques peut-être sur « la concorde » qui devait unir les villes de commune, préfèrent insister sur « un lien de droit »149. Ainsi organisé et lié dans ses membres, le peuple, cessant d'être une foule (une horde), est qualifié tantôt de corps (corpus), d'universitas, ou de cité. Corps a une connotation théologique. L'Église est dite « corps du Christ » ; le transfert de l'image dans le domaine politique est vraisemblable. Universitas, terme abstrait, est emprunté à la langue juridique romaine du Bas-Empire qui qualifiait ainsi les groupements de personnes, distincts de la seule somme des nombres de leurs membres150. Cité réintroduit le vocabulaire romain de civitas ; il évoque les communes médiévales, surtout celles d'Italie, parfois puissantes et turbulentes. Mais qu'est-ce qu'une « cité » ? Le débat est ancien et l'équivoque persiste : réalité sociale ou concept de droit, tissu urbain ou institution ? Oresme posait déjà la question : « multitude de citoyens habitants en un lieu... Item, chaque multitude de citoyens qui se gouvernent par une policia peut être appelée cité ». Que le peuple organisé en cité soit une forme de gouvernement répond à l'opinion commune. Chez les canonistes, la glose du Décret de Gratien151 l'exprime péremptoirement : « La cité où le peuple a juridiction ». Chez les romanistes, Bartole accrédite l'adage « la cité est pour elle son prince ». En effet, elle a son droit et ses membres, les citoyens, qui participent au gouvernement. 48. Formes d'intervention. - - a. La forme parfaite est évidemment celle de l'unanimité ; difficile et rare lorsqu'il s'agit d'un groupe réduit, elle est impossible pour de multiples raisons (absence, indifférence, maladie, etc.) dans des communautés politiques, toujours assez nombreuses alors même qu'il s'agirait d'une cité de petite taille. Lorsqu'elle est mise en avant (par exemple pour certaines décisions de conciles) ce n'est le plus souvent qu'une fiction, alléguée pour augmenter l'autorité de la décision prise. - b. La forme ordinaire est donc celle de la majorité, souvent difficile à apprécier car les procédures sont sommaires (nombre de votants, voix dans un sens ou dans un autre). Reste d'ailleurs à justifier cette autorité décisive d'une simple majorité. Plus difficile encore d'obtenir que la minorité, battue, se rallie à une solution qu'elle a combattue. Le 148. Les premiers romanistes du XIIe siècle (Irnerius, Bulgarus, Vacarius) le constatent déjà : « Le peuple en collectivité ordonne, mais à titre individuel il promet [d'obéir]. » 149. Cicéron (De re publica, I, 25) avait déjà vu dans le peuple l'assemblage d'une multitude, associée par un consentement juridique et une communauté d'intérêt. 150. W. ULLMANN, « Personality and territoriality in the Defensor », Medioevo VI, 1980, p. 397-410, reproduit dans Law and juridiction in the Middle Age, Londres, Variorum reprints, 1988, montre que pour Marsile de Padoue (vers 1275/1280-1324), « l'universitas des citoyens », « corporation souveraine composée de citoyens » est comme un roi ou un prince ; voir aussi A. GOURON, « Du populus à l'universitas », Initium, Revista catalana d'historia del drept, 1998, p. 207-220. 151. C.23, q.3, c.11, vo Ostendit. 64

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