Contextes - Histoire des manuels de droit - 83

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B. Le droit matériel
L'exposé des principes du Code civil est l'occasion pour Aubry et Rau
d'une profession de foi libérale, dans la 1re comme la 4e édition : égalité
civile, indifférence du droit aux croyances religieuses (encore que nos
auteurs admettent le caractère discutable de la séparation du droit civil
et de ce qu'ils appellent le droit ecclésiastique)91, protection de la liberté
individuelle (qui conduit à une critique voilée des restrictions apportées
à la liberté contractuelle « dans un esprit tout démocratique », § 21) et
de l'inviolabilité de la propriété. mettre en cause ces principes, c'est se
refuser à fonder la législation sur l'intérêt « de la généralité des citoyens »
et préférer les intérêts de classes (où comment l'intérêt de la bourgeoisie
se pare des vertus de l'intérêt général...). Si ces postulats individualistes et
subjectivistes finissent parfois par fléchir (patrimoine et responsabilité),
ils se maintiennent pour justifier une conception libérale de la propriété
et du contrat.

91. en matière familiale (sans originalité pour l'époque : massé et Vergé parlent des enfants
naturels comme des « fruits de la débauche », Le droit civil français, Paris, 1854, i, § 165), le
sentiment religieux d'Aubry explique que, contrairement à Zachariae, leur Cours ne voit
pas dans l'art. 340 C. civ. une atteinte à la « morale publique » mais une mesure technique
(§ 566) qui n'introduit pas un avantage au profit des pères. Si le droit révolutionnaire est
tombé dans des « écarts » déplorables, le Code civil en revanche a « compris » la nécessité
de rendre au mariage son « caractère moral » mais n'a pas suffisamment limité le droit au
divorce (4e éd., § 449, même critique à l'égard de la puissance paternelle au § 543). Leur
conception spiritualiste n'empêche pas d'interpréter strictement le devoir de cohabitation
de l'épouse (contre Delvincourt, Duranton et toullier, ils en autorisent l'exécution manu
militari, 4e éd., § 471 maintenu par Bartin dans la 5e éd.) et, contrairement à Zachariae
(§ 449), n'exige pas la copula carnalis pour la perfection du mariage. La 5e éd. par Bartin en
1913 n'abandonne pas cette définition du mariage puisée dans le droit philosophique, ce
qui fonde le mariage en et par la raison. malgré le rétablissement du divorce, il reste une
« société perpétuelle » sans laquelle l'union des sexes est dépourvue de toute moralité (§ 450).
Bref, une représentation traditionnelle de l'ordre familial domine, avant comme après la
4e éd. L'indifférence pour la filiation naturelle conduit même Bartin (5e éd., § 569), qui juge
certaines des « graves innovations » de la loi de 1912 « discutables... en législation » (§ 567),
à refuser au bénéficiaire du nouvel article 340 C. civ. la liberté que le Code confère par
ailleurs à l'enfant de faire remonter la date de sa conception au moment le plus favorable à
ses intérêts. Le même cherche à limiter le champ d'application de la loi de 1915, en exigeant
la reconnaissance de l'enfant au moment (et non après) la célébration du mariage (§ 546).
Quant à esmein, dans le Cours (dès la 6e éd. il intègre dans le t. Vii un § 491 consacré à
l'union libre) et ses articles (D.H. 1935, ch. 51 et RTD civ. 1935), il estime que le développement du divorce depuis 1884 a « confirmé l'exactitude » des critiques d'Aubry et Rau
(7e éd., § 16) et que les concubins violent un « devoir moral » (de là le strict encadrement
de l'indemnisation de celui qui a fourni ses services à l'autre sans contrat de travail, § 491).
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