Anthologie du droit - Essais sur les lois - 128

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ESSAIS SUR LES LOIS

volontaire 3 ? Il est des périodes où la société semble se satisfaire d'un droit qui se
forme tout seul - que ce soit par la cristallisation des pratiques ou par les hasards
du contentieux - tout seul, sans l'intervention de cet acte de volonté, de cette décision qu'est la loi. Puis viennent des moments où une sorte de fièvre législative
s'empare du corps social. Il y a là comme un rythme nécessaire entre la coutume
qui conserve et la législation qui innove.
Guizot, à bien des égards un précurseur pour l'histoire quantitative comme
pour la sociologie, voire la sociologie du droit, avait mis en tableaux numériques
l'activité législative des Carolingiens. Ces tableaux montrent clairement comment
la production des capitulaires, si intense sous Charlemagne et encore sous Louis
le Débonnaire, va s'affaiblir progressivement sous les successeurs 4 : l'Occident
s'enfonce peu à peu dans la profonde forêt coutumière du Haut Moyen Âge.
Mais pourquoi chercher des exemples lointains ? John Gilissen, il y a quelques
années, a dressé une statistique des ordonnances promulguées par les souverains
des provinces belges de 1507 à 1794 5. J'en retiens que la moyenne annuelle, qui
était de 35 ordonnances au xviie siècle, bondit à 90 ordonnances pour la période
de 1741 à 1790. Nous voici sous le plein feu des Lumières.
Ce fut une époque d'effervescence législative, partout en Europe (peut-être
même hors de France plus qu'en France). Les despotes éclairés rayonnaient par
leurs lois. Mais eux-mêmes, d'où tiraient-ils les lumières ? De la philosophie. La
législation active eût été bien plus terne, s'il n'y avait eu, pour la susciter et la soutenir, tant de spéculations législatives dans les salons littéraires.
Telle est l'observation d'où il convient de partir : qu'il y a eu, au siècle des
Lumières, tout un genre philosophique - disons même, en songeant à la conception bien peu technique qu'on se faisait alors de la philosophie : tout un genre
littéraire, qui mérite l'épithète de législatif. Plus qu'une mode intellectuelle, ce fut
un courant de pensée, parfois peut-être un torrent de sentimentalité.
Nous commencerons par décrire le phénomène dans son développement.
Puis nous essaierons d'en sonder les causalités.
Enfin, nous nous interrogerons sur sa disparition.
I
Un genre littéraire, c'est toute une série d'auteurs. Mais l'évocation de
quelques cas exemplaires peut dispenser d'un recensement exhaustif.
Sur cette plage de temps, découpons, suivant le programme le plus scolaire,
une progression en trois phases.
La phase d'amorce s'ouvre en 1699 avec Télémaque. Pour une bonne part,
c'est un livre de législation romancée. Mentor est le précepteur-législateur, auprès
3. Car les coutumes pourront un jour, sans cesser d'être coutumes, faire l'objet d'une procédure
de rédaction. L'écriture, toutefois, n'a pas pour elles la même signification que pour les lois : rédiger
une loi, c'est transmettre une décision ; rédiger une coutume, c'est photographier un geste habituel, et
l'habitude pourra y perdre la faculté d'évolution - lente, certes, mais réelle - dont elle était auparavant
pourvue.
4. Guizot, Cours d'histoire moderne (1820-1822), 20e et 21e leçons.
5. John Gilissen, Revue du Nord, tome XL, n° 158 (juin 1958), p. 9-13.

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