Anthologie du droit - Essais sur les lois - 145

TENDANCES ACTUELLES DE L'ART LÉGISLATIF EN FRANCE

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divorce pour catholiques, nous pratiquons, en effet, quatre modèles de divorce
suivant la cause légale : la faute (pour les batailleurs ou les routiniers), la rupture
de la vie commune (pour les audacieux), le consentement mutuel (pour les volontés lucides et fermes), le double aveu (pour des volontés plus troubles et plus
molles).
Arrêtons-nous un instant sur ce quatrième modèle, car il est propre, par
lui-même, à illustrer un autre aspect du pluralisme, un aspect qui pourrait être un
ressort caché de toute cette législation. Non plus le pluralisme juridique, la pluralité des solutions à l'intérieur du système de droit ; mais le pluralisme normatif, la
pluralité des normes qui contribuent à réguler, à harmoniser la vie sociale. Dans
les aveux réciproques d'où dérive le divorce sur double aveu, il ne faut pas tenter
de retrouver l'acte de volonté, également nommé aveu, auquel le droit des preuves
fait produire des effets juridiques. Les aveux en question sont des phénomènes
purement psychologiques, saisis en dehors du droit : vouloir et non-vouloir en
demi-teintes, souhait d'un côté, résignation de l'autre, rien de plus que des sentiments. Le dessein probable de la loi - ou du moins un de ses desseins - a été
d'ouvrir, dans la procédure de divorce, une première phase, toute de non-droit, où
le juge aux affaires matrimoniales, ami-témoin ici et non juge, se contenterait
d'enregistrer le complexe psychologique, en renvoyant à une seconde phase,
devant le tribunal au complet, le soin d'y attacher des conclusions juridiques. Il
n'est pas sûr, toutefois, que ce combiné de droit et de non-droit, déconcertant
pour nos habitudes de juridisme, soit correctement assimilé par la pratique :
celle-ci pourrait bien être en train de le détourner vers des finalités moins
subtiles.
De la tentative nous retenons, en tout cas, l'indice d'une attitude nouvelle :
l'art législatif accepte de ne plus regarder le droit comme un système clos se suffisant à lui-même. La reconnaissance, par-dessus la haie, de cette réalité multiforme
qu'est le non-droit pourrait bien être la clef d'une stratégie législative. Ces lois que
l'on dit permissives, que l'on dit de libéralisation, devraient être analysées moins
comme des lois de permission et de libéralisme que comme des lois de transfert :
le pouvoir d'interdire a été transféré du droit aux autres systèmes de normes : les
mœurs, l'éthique, la religion - ces systèmes dont aucun n'est d'ailleurs unifié dans
une société telle que la nôtre. Le législateur a délibérément escompté le relais du
droit par le non-droit 7. Il faut convenir que la matière de la famille s'y prêtait
mieux que d'autres. Il n'en est pas moins important que, sur cet exemple hors du
commun, l'art législatif ait pris conscience de ses propres limites.
La législation n'est pas seule, et elle n'est pas toute puissante. Si l'art législatif d'autrefois se confiait au postulat optimiste qu'étant faite pour être appliquée, la loi le serait à cent pour cent, l'art législatif d'aujourd'hui a appris à
traiter comme naturels les phénomènes d'inapplication, totale ou partielle, et à
les intégrer à ses calculs 8.
7. Cf. supra, p. 56 et infra, p. 147.
8. Assumer le risque d'ineffectivité implique qu'on se donne les moyens d'en jauger l'importance. Car, franchi un certain taux, l'ineffectivité est un clignotant qui doit alerter le législateur et
l'amener à soupçonner des défauts dans les fondements ou la construction de son ouvrage. Il y a là un
champ d'action pour la sociologie législative : à elle de déceler, par des enquêtes périodiques, si les
textes passent bien dans les mœurs ou s'ils nécessitent une révision. En France, cette sorte d'enquête
n'a été qu'assez peu pratiquée encore (pour la loi sur la tutelle, la loi sur les incapables majeurs). Mais

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