Anthologie du droit - Essais sur les lois - 154

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ESSAIS SUR LES LOIS

ou plutôt qu'elle n'a même pas de contenu, qu'elle fonctionne comme un simple
contenant ; que le droit ne correspond pas à un système particulier de valeurs,
qu'il ne se rattache à un système de valeurs qu'indirectement, par l'intermédiaire
des autres systèmes normatifs, auxquels il apporte sa consécration (en leur prêtant sa contrainte ou l'arbitrage de ses juges).
Telle est la thèse, convaincante dans sa ligne générale, même si l'observation
des faits conduit à la nuancer - au moins en deux endroits :
1o La norme juridique ne se contente pas toujours d'être un flacon transparent. Il lui arrive d'avoir un contenu qui n'est qu'à elle. Nous songeons aux lois
que l'on peut dire arbitraires (en un sens technique de l'épithète), les lois qui émanent de la pure volonté législative - telles les lois fiscales, les lois de police. On
pourrait accepter, pour elles, l'existence de valeurs proprement juridiques (sauf
peut-être à dégager de ses connotations moralisantes, voire métaphysiques, le mot
de valeur et à envisager des valeurs... sans axiologie).
2o Et surtout, s'il est exact que la plupart des systèmes normatifs non juridiques sont dépourvus de l'aptitude qui nous émerveille tant dans la norme juridique, l'aptitude à prendre en charge le contenu des autres normes, on ne saurait
cependant méconnaître que la même prédisposition se retrouve, peu ou prou, ailleurs que dans le droit. Non pas dans n'importe lequel des systèmes non juridiques,
assurément, mais dans deux d'entre eux : la morale, et, plus nettement encore, la
religion. En comparaison des autres - que ce soit, par exemple, la santé ou même
les mœurs - ces deux systèmes-là se définissent comme beaucoup plus proches du
droit, parce qu'ils ont en commun avec lui une certaine neutralité, une certaine
perméabilité aux systèmes concurrents. Si la règle de droit s'approprie très fréquemment une règle morale, la règle morale peut se nourrir de règles de droit : il y
a une morale civique, qui résume son impératif dans le respect des lois de la cité. Et
dans le même esprit, il pourrait y avoir une religion civique. Mais la capacité
d'absorption du religieux ne se restreint pas à cela : il est au pouvoir de la religion
de sacraliser une quelconque espèce de règles, transformant des mœurs en rites ou
des stéréotypes gestuels en gestes hiératiques. Sans nous prononcer sur les questions de généalogie et d'antériorité qui peuvent se poser au sujet du droit et de la
religion 16, il nous faut reconnaître entre les deux systèmes une réciprocité très particulière d'échanges inter-normatifs qui s'explique à l'évidence par une étroite
parenté de nature.
B) Précisément, cette parenté va resurgir à travers un des phénomèmes les
plus connus dans l'histoire des normes : la sécularisation ou laïcisation du
droit. C'est le processus par lequel le droit se désintéresse d'un commandement
religieux qu'il avait d'abord sanctionné, pour l'abandonner désormais aux
seules forces de la religion. Le phénomène s'est manifesté à diverses reprises, au
fil des âges, soit évolution lente, tel, à Rome, le mouvement par lequel le jus
s'est débarrassé fas, soit révolution, comme, en France, celle que silencieusement a opérée le Code Napoléon. Mais le reflux peut suivre, le droit reprenant
à son compte le commandement religieux : ainsi, en droit romain, avec les
empereurs chrétiens, ou en France, fragmentairement sous la Restauration,
avec la suppression du divorce.

16. Cf. A. Hoebel, op. cit., p. 257 et s.

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