Précis Domat - Droit des personnes - 2e - 165

L'ÉPANOUISSEMENT DES PERSONNES CORPORELLES (DROITS DE LA PERSONNALITÉ)
surtout, à leur droit à l'image (ce n'est évidemment pas le cas avec la présomption
d'innocence) ; la lésion de la vie privée, comme de la présomption d'innocence, peut
se résoudre en dommages et intérêts. En réalité, dire que le droit à la vie privée ou à
la présomption d'innocence est « extrapatrimonial », c'est affecter l'objet protégé
par le droit d'une indisponibilité de principe : on ne saurait consentir à céder sa vie
privée ou son innocence ou y renoncer94
. Du même coup, et c'est en pratique plus
déterminant, ces droits sont insaisissables (puisque hors patrimoine) et imprescriptibles
au sens où l'inertie prolongée d'une personne restant sans réaction face aux
coups portés au respect dû à sa vie privée ou à son innocence ne la prive pas du
droit d'exiger, le jour où elle le souhaitera, que cessent ces intrusions et que leurs
auteurs soient sanctionnés. C'est surtout une dernière conséquence de l'indisponibilité,
l'intransmissibilité du droit, notamment aux héritiers, qui retient l'attention de la
jurisprudence car elle permet de mieux en cerner l'amplitude : toute la personne
mais rien que la personne, or la personnalité cesse avec la mort. Dans certaines espèces,
des juges du fond avaient pourtant considéré qu'« on ne peut soutenir que le
droit au respect de l'intimité de la vie privée prend fin à la date du décès »95
un arrêt concernant la vie privée du président de la République de 1981 à 1995,
François Mitterrand, qui a clairement affirmé le principe de l'intransmissibilité96
.
Le docteur Gubler, médecin personnel du Président, avait publié juste après la
mort de ce dernier un livre, Le grand secret, contenant des informations sur son
patient recueillies sous le sceau du secret médical, à savoir que dès le début de son
premier mandat, le Président était atteint d'un cancer et que les bulletins de santé
régulièrement publiés étaient mensongers. La famille saisit le juge des référés afin
de faire retirer le livre de la vente, ce qu'elle obtint97
. Outre des poursuites pénales
relatives à la violation du secret médical, l'action engagée sur le fondement de l'article
9 visait à la réparation d'un double préjudice, celui de la veuve et des enfants de
l'ancien président (atteinte à leur droit au respect de la vie privée) et celui résultant
de l'atteinte au droit au respect de la vie privée de François Mitterrand
lui-même. C'est sur ce second chef de préjudice que ni la cour d'appel ni la Cour
de cassation ne furent convaincues : « le droit d'agir pour le respect de la vie privée
s'éteint au décès de la personne concernée, seule titulaire de ce droit98
confirmée depuis99
», solution
. Par conséquent, lorsque des ayants droit du défunt agissent
pour la défense de sa mémoire, ils exercent, sauf disposition légale contraire, non
le droit du défunt mais le droit propre à la sauvegarde de leur patrimoine moral (ou
pécuniaire si le droit en question est le versant patrimonial du droit à l'image100
). De
■ 94. Il serait toutefois possible de soutenir que la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité
(CPP, art. 495-7 et s.) peut constituer une incitation à renoncer à la présomption d'innocence...
■ 95. TGI Paris, 13janvier 1997, D. 1997. 257 ; V. aussi Paris, 21 déc. 1977, RIDA 1979. 161 :
« La mort ne saurait avoir pour effet de faire tomber la vie privée dans le domaine public ».
■ 96. Cass. 1re
■ 97. CA Paris, 1re
■ 98. Cass. 1re
■ 99. Cass. 1re
civ., 14 décembre 1999, préc.
Cass. 2e civ., 20 novembre 2003, nº 02-12297.
■ 100. Voir Cass. 1re
civ., 22 octobre 2009, D. 2009, p. 2612, à propos de l'image du défunt ; également
civ., 15 février 2005, D. 2005, p. 597 ; JCP 2005. IV. 1668 ; RTD civ. 2005, p. 363,
civ., 1er juillet 2010, nº 09-15479, Bull. civ. I, nº 151 ;
Deuxième partie : Personnes corporelles
note J. HAUSER (une photographie du père des ayants droit avait été utilisée sans leur autorisation pour
illustrer une pochette de disque). Adde : Cass. 1re
165
civ., 14 déc. 1999, nº 97-15756, Bull. civ. I, nº 345, D. 2000, Jur. p. 372, note B. BEIGNIER.
ch. A., 13 mars 1996, JCP 1996, II, 22589, note E. DÉRIEUX.
.C'est
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