Précis Domat - Droit des personnes - 2e - 317

LES RESSOURCES BIOLOGIQUES HUMAINES
affecté à la chose, en lieu et place d'une marque de reconnaissance (qui peut être
financière dans certains cas) prodiguée à la personne pour son don18
.
303 Malgré tout, presque trente ans après l'arrêt Moore, quelques arrêts étrangers et
certaines voix doctrinales continuent à ménager un bon accueil à la notion de propriété
dans ce contexte. Ainsi, dans une affaire similaire à celle de Douai, mutatis
mutandis puisqu'il s'agissait de gamètes masculins et non d'œufs fécondés, des
juges anglais ont pu indemniser des hommes atteints de cancer, qui avaient fait
conserver leur sperme en vue de parer aux effets néfastes du traitement sur leur fertilité.
Les gamètes ayant été détruits suite à une panne de congélateur, les demandeurs
ont obtenu des dommages et intérêts mais sur le fondement du droit de propriété.
Après une longue analyse, les juges sont parvenus à une telle conclusion, en considérant
que le produit provenait de leur corps même et qu'il n'avait d'autre but que d'être
utilisé à leur profit19
.L'analyse reste néanmoins très marquée par des considérations
de common law et par la conception particulière que le droit anglais a de la propriété.
Pour nous en tenir à la doctrine française, un courant persiste à analyser le rapport
de l'individu à son corps, entier ou en pièces détachés, comme un rapport de
propriété : qu'il s'agisse d'y voir une propriété en raison de son objet spécifique20
« un cadre neutre qui investit une personne du pouvoir de principe d'accéder à
,
■ 18. Voir l'article 21 de la Convention sur les droits de l'Homme et la biomédecine (dite Convention
d'Oviedo), du 4 avril 1997 :
« Le corps humain et ses parties ne doivent pas être, en tant que tels, source de profit ».
Sur ce débat, voir l'analyse proposée par le rapport Nuffield Council on bioethics, Human Bodies: Donation
for Medicine and Research, préc., au sujet de la question de l'intervention de l'argent dans les opérations
relatives au matériel biologique humain. Le rapport précité distingue bien (chapitre 2) :
- le « paiement » (payment) comme terme générique pour toute transaction de type patrimonial ;
- la « compensation » (recompense), qui est le « paiement » fait à toute personne pour compenser les coûts
que son don a engendrés. Il peut s'agir d'un remboursement direct des frais engagés (par exemple le remboursement
du billet de train acheté pour se rendre au centre de prélèvement) ou d'une compensation pour
des coûts non financiers (par exemple la fatigue, le désagrément) ;
- la « gratification » (reward), à savoir l'avantage matériel procuré au donneur et qui va au-delà de la compensation
pour les frais engagés. Si la récompense est calculée comme un salaire, alors elle se mue en
rémunération ;
-l'achat (purchase) qui est le paiement direct d'une somme d'argent contre l'obtention de matériel biologique
humain.
Le rapport contient une phrase éclairante : « We suggest that, where the intervention involves a direct payment
ofmoney or equivalent, it is an essential pre-requisite that the payment is understood, by all parties,
in terms of reward to the person for their act of providing bodily material, rather than a purchase of
material itself» (p. 8, nº 30).
Le droit français refuse toute rémunération (voir C. civ., art. 16-6) et s'en tient, le cas échéant, à la compensation
pour frais engagés (voir par exemple CSP, art. L. 1244-7 al. 2 pour la donneuse d'ovocytes).
Adde :C. LAFONTAINE, Le corps-marché. La marchandisation de la vie humaine à l'ère de la bioéconomie,
Seuil, 2014 ; M. J. SANDAL, Ce que l'argent ne saurait acheter, Seuil, 2014 ; A. MAZOUZ, Le prix du corps
humain,L'Harmattan, 2020 ; Voir M.-X. CATTO,E. BERTRAND et A.-D.MORNINGTON (dir.), Les limites du
marché : la marchandisation de la nature et du corps, Mare&Martin, 2020.
■ 19. Yearworth v N Bristol NHS CA 2009 : [2009] EWCA Civ 37 (voir le paragraphe 45 pour la conclusion),
commenté par F. BELLIVIER et C. NOIVILLE, Revue des contrats, 2010-3, p. 1007 et s.
■ 20. J.-P. BAUD, L'affaire de la main volée. Une histoire juridique du corps, Seuil, 1993 ; Vo
priété », dans M.MARZANO (dir.), Dictionnaire du corps, PUF, 2007.
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