Précis Domat - Droit des personnes - 2e - 39

LES PERSONNES SANS CORPS (LES PERSONNES MORALES)
Parmi les nombreux problèmes que pose la fiducie à la française figure l'impact
de la reconnaissance de ce patrimoine fiduciaire sur la théorie classique de l'indivisibilité
du patrimoine. À première vue, la fiducie ébrèche sérieusement ce
dogme : l'article 2011 ne précise-t-il pas que les biens en fiducie sont tenus séparés
dans le patrimoine propre du fiduciaire ? Le législateur en a tiré la conséquence
logique : « l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité contre le fiduciaire est sans
aucun effet sur le patrimoine fiduciaire »32
et « le patrimoine fiduciaire ne peut être
saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce
patrimoine »33
, exception au principe du droit de gage général des créanciers
(C. civ., art. 2285). Certains estiment pourtant que le patrimoine fiduciaire n'est
pas un véritable patrimoine d'affectation parce que diverses règles ont pour résultat
qu'il n'est hermétiquement séparé ni du patrimoine du constituant ni de celui du
fiduciaire. Certes, il ne sera pas toujours facile de délimiter, au sein du passif né
de l'activité du fiduciaire, les dettes qui relèvent de son passif personnel (dont
répond son actif personnel) et celles qui forment le passif fiduciaire (dont répond
l'actif fiduciaire) ; de même peut-on constater que le patrimoine fiduciaire n'est pas
totalement séparé du patrimoine personnel du constituant34
.
Mais il n'en reste pas moins que la fiducie, crée, pour une durée précise, un
patrimoine affecté et autonome, portant sur des biens énumérés, dont la propriété
est transférée, dans un but déterminé, moyennant enregistrement et publicité. Ce
faisant, l'unicité du patrimoine est « brisée »35
par la fiducie. Le Code civil ne
peut plus être considéré comme admettant encore le principe de l'unicité du patrimoine
et, paradoxalement, il n'aura jamais autant utilisé le mot « patrimoine »
qu'en congédiant la théorie classique d'Aubry et Rau.
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En second lieu, la loi nº 2010-658 du 15juin 2010 sur l'EIRL (entreprise individuelle
à responsabilité limitée) a admis la séparation d'un patrimoine correspondant
à l'activité professionnelle - commerciale, artisanale, agricole, libérale, ou non
déclarée comme telles - de l'entrepreneur individuel. Il suffit à l'entrepreneur individuel
d'inscrire son patrimoine professionnel dans un registre prévu à cet effet. Le
patrimoine professionnel se trouve alors séparé du patrimoine personnel, « sans
création d'une personne morale », précise l'article L. 526-6 du Code de commerce.
■ 32. C. civ., art. 2024.
■ 33. C. civ., art. 2025.
■ 34. Voir C. civ., art. 2025 al. 2 : « En cas d'insuffisance de l'actif du patrimoine fiduciaire pour répondre
de son passif, le patrimoine du constituant constitue le gage commun des titulaires de créances nées de la
conservation ou de la gestion du patrimoine fiduciaire », sauf stipulation contraire du contrat de fiducie
mettant tout ou partie du passif à la charge du fiduciaire.
■ 35. Voir M. GRIMALDi, « L'introduction de la fiducie en droit français », in Les transformations du droit
civil français, Universidad externado de Colombia, Revue de droit Henri Capitant, nº 2, 30juin 2011 (disponible
sur http : //revuededroithenricapitant. org), faisant justement remarquer que le patrimoine dont
l'unicité est brisée par la fiducie n'est pas tant celui du fiduciaire que celui du constituant ou du bénéficiaire,
car si « l'unicité du patrimoine signifie que l'on répond de ses dettes sur tous ses biens, ce ne peut
être, pour des raisons de bon sens, que sur des biens dont on est riche. Or, ce n'est pas le fiduciaire, mais le
constituant (ou le bénéficiaire) qui est riche des biens mis en fiducie ». La fiducie représente donc pour le
constituant un moyen de placer certains de ses biens hors d'atteinte de ses créanciers, ce que le législateur
s'est efforcé d'éviter en permettant aux créanciers du constituant de saisir les biens apportés à la fiducie en
fraude de leurs droits (art. 2025 al. 1) et en accordant aux créanciers de la fiducie, en cas d'insuffisance des
actifs fiduciaires, le droit de saisir les biens personnels du constituant, sauf clause contraire (art. 2025 al. 2).
Première partie : Personnes incorporelles
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