Précis Domat - Droit des personnes - 2e - 51

LES PERSONNES SANS CORPS (LES PERSONNES MORALES)
morale distincte, ne saurait en conséquence être poursuivie pour les faits commis
par la société absorbée.
Elle repose sur l'assimilation d'une personne morale dissoute à celle d'une personne
physique décédée.
Or cette approche anthropomorphique de l'opération de fusion-absorption doit
être remise en cause car, d'une part, elle ne tient pas compte de la spécificité de la
personne morale, qui peut changer de forme sans pour autant être liquidée, d'autre
part, elle est sans rapport avec la réalité économique »87
.
En considérant davantage l'entreprise comme entité économique que la société
comme personne juridique, le droit répressif apparaît ici comme une manifestation
très claire d'une tendance plus vaste du droit à tirer toutes les conséquences du rôle
économique et social des personnes morales et, singulièrement, des entreprises. On
pense ici aux développements de la responsabilité civile des personnes morales, en
harmonie avec ceux qui concernent leur responsabilité pénale. Longtemps hostile à
l'idée qu'un groupement puisse se voir imputer une faute, à l'heure où la responsabilité
pour faute était prédominante, ainsi qu'àl'effet positif sur un groupement, en
termes de prévention et de répression, d'une condamnation à des dommages et intérêts,
la doctrine écartait l'application de l'article 1240 (anciennement 1382) du
Code civil aux personnes morales88
. Après des oscillations, la jurisprudence distingue
aujourd'hui deux situations qui attestent de l'autonomisation du groupement : à
l'égard des organes et représentants, par hypothèse non subordonnés, les juges se
sont rangés à une responsabilité du fait personnel, propre à la personne morale, sans
détour par l'article 1384 al. 5 et la responsabilité des personnes physiques ; en ce
qui concerne les employés (préposés), si les juges continuent à exiger la démonstration
de leur faute pour engager la personne morale sur le fondement de l'article
1384 al. 5, ils décident, depuis l'arrêt Costedoat, que vis-à-vis des tiers le préposé
est couvert par une sorte d'immunité, du moins lorsqu'il a agi sans excéder les
limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant89
. Cette solution met
bien en lumière la montée en puissance du principe de la faute propre et directe du
groupement, que le projet de réforme de la responsabilité civile rendu public par la
Chancellerie le 13 mars 2017 a énoncé expressément, mais qui n'a pas été repris
■ 87. Cass. crim., 25 nov. 2020, nº 18-86995, § 19-21. Cet arrêt, également important en matière d'application
de la loi dans le temps, a été abondamment commenté. Voir par exemple Rev. Sc. Crim. 2021, p. 69,
obs. P. BEAUVAIS ou encore Dr. Pénal 2021, nº 2, chron. 10, obs. M. BRENAUT et F. SAFI.
■ 88. Voir pour un historique, G. VINEY,P. JOURDAIN,S. CARVAL, Les conditions de la responsabilité, in
J. GHESTIN (dir.), Traité de droit civil, LGDJ, 4e
éd., 2013, nº 848 et s., p. 1141 et s.
■ 89. ass. plén., 25 févr. 2000, D. 2000, Jur. 673, note BRUN ; RTD civ. 2000, p. 582, obs. JOURDAIN.
Adde : Cass. 1re
civ., 9 nov. 2004 (deux arrêts), JCP G 2005 II 10020, rapp. DUVAL-ARNOULD,
n. PORCHY-SIMON, RTD Civ. 2005, p. 143, nº 5, obs. P. JOURDAIN (l'immunité s'applique même quand le préposé
agit de façon indépendante, tel le médecin).
Ce principe est toutefois circonscrit : Cass. ass. plén., 14 déc. 2001, nº 00-82066, dit arrêt Cousin,
Bull. ass. plén., nº 17, RTD civ. 2002, p. 109, obs. P. JOURDAIN (l'immunité ne joue pas en cas de faute
pénale commise par le préposé) ; Cass. 2e
civ., 21 févr. 2008, D. 2008, p. 2125, n. J.-B. LAYDU, JCP G 2008
I 186, nº 5, obs. Ph. STOFFEL-MUNCK (la responsabilité civile du préposé est engagée lorsqu'il a commis une
faute civile intentionnelle) ; Cass. soc., 26janv. 2022, nº 20-10610 (l'immunité du préposé ne peut s'étendre
aux fautes susceptibles de revêtir une qualification pénale ou procéder de l'intention de nuire). Adde :
art. 1249 du projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017 ; Ph. MALAURIE,L. AYNÈS,
Ph. STOFFEL-MUNCK, Droit des obligations, LGDJ, 12e
éd., 2022, p. 97, nº 106.
Première partie : Personnes incorporelles
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