Précis Domat - Droit des personnes - 2e - 79

L'IDENTIFICATION DES PERSONNES CORPORELLES
témoigne l'incessant combat contre les discriminations6
,l'égalité civile, entre femmes
et hommes, entre différentes catégories d'enfants, etc., a triomphé. La vigueur
de l'égalité a rendu moins pertinente la répartition des individus dans des groupes
sociaux que le droit a progressivement considérés comme égaux. Le groupe s'effaçant
derrière l'individu, l'identification de celui-ci prend un autre sens : on n'est pas
seulement identifié de l'extérieur par un certain nombre de caractéristiques permanentes
et imposées, on se construit aussi une identité par certains traits que l'on
choisit. L'autonomie gagne là où régnait l'hétéronomie, l'identité est moins assignée
qu'elle n'est revendiquée. En clair, si on comprend toujours bien l'intérêt
qu'a la société à repérer les individus et à tenter de solidifier la « vie liquide »,
selon l'expression imagée du sociologue Zygmunt Bauman7
, nous ne nous satisfaisons
souvent plus d'être inscrits ad vitam dans un domicile, un nom, une appartenance
familiale, une nationalité8
, voire du sexe qui figure sur notre état civil. Et le
droit s'est fait l'écho d'une telle conception de l'identité mouvante : le principe
d'indisponibilité de l'état des personnes qui a connu de beaux jours dans des
contentieux spectaculaires mais marginaux (le transsexualisme et la gestation pour
autrui), doit se comprendre comme un principe de mutabilité contrôlée, comme un
« compromis »9
. En effet, on peut légalement changer de prénom, de nom, de sexe,
de rapport de filiation, on peut divorcer, à la condition que l'on respecte un certain
nombre de conditions dont la réunion sera vérifiée par un juge (ou une autorité
administrative pour le nom).
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Un champ de bataille demeure, à savoir la gestation pour autrui. Pratique difficile
à quantifier en France puisqu'elle y est prohibée, elle fut l'un des terreaux de
l'affirmation, par les juges, du principe d'indisponibilité et son revigorant quand
celui-ci faiblissait ailleurs. Aujourd'hui, y compris dans ce domaine, le principe
ne fait plus recette.
La gestation pour autrui consiste pour un couple dont la femme est infertile - ou
pour un homme célibataire ou un couple d'hommes10
d'une femme pour avoir un enfant. Schématiquement la situation se dédouble11
- à recourir aux services
de
la sorte : ou bien la femme stérile produit des ovocytes mais ne peut pas porter un
enfant, auquel cas un embryon est conçu in vitro à partir d'un de ses ovocytes et
■ 6. Voir R.MEDARD INGHILTERRA, La réalisation du droit de la non-discrimination, LGDJ, coll. « Bibliothèque
de droit public », tome 323, 2022.
■ 7. Dans un contexte plus large, Zygmunt Bauman parle de « vie liquide » ou de « société liquide » pour
désigner nos sociétés ultra-individualistes, libérales, consuméristes, pressées. Il a notamment illustré cette
notion dans un petit ouvrage d'entretiens : Identité,L'Herne, 2010.
■ 8. Voir A. DIONISI-PERUSSE,F. JAULT-SESEKE,F. MARCHADIER,V. PARISOT (dir.), La nationalité. Enjeux et
perspectives, Institut Universitaire Varenne, 2019.
■ 9. Voir C. DUVERT, « État des personnes et volonté », Mélanges en l'honneur de Philippe Théry. Les
coutures du droit, LGDJ, 2022, p. 223 et s.
■ 10. En ce cas, le plus efficace est que la femme porteuse soit inséminée par le sperme d'un des hommes
ou de l'homme célibataire mais il est également possible de procéder à la fécondation in vitro puis au
transfert de l'embryon.
■ 11. Il existe un troisième scénario : la femme porteuse accueille dans son utérus un embryon conçu in
vitro avec l'ovocyte d'une donneuse et le sperme du père d'intention. L'enfant a alors un lien avec quatre
personnes : un lien génétique avec la donneuse d'ovocytes et l'homme, un lien biologique avec la femme
qui l'a porté, un lien affectif avec la femme d'intention qui a décidé de l'élever.
Deuxième partie : Personnes corporelles
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