Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1 - 198

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MÉTHODE D'INTERPRÉTATION ET SOURCES EN DROIT PRIVÉ POSITIF

Je crois avoir suffisamment dégagé la théorie, constaté son importance, et
noté les indices de son développement. Je dois, maintenant, m'expliquer sur le
fond et en dire mou sentiment bien sincère. - Or, assurément, je ne veux pas
dissimuler la fécondité du principe, placé à la base d'une pareille méthode d'interprétation des lois, ni méconnaître les services, que ses procédés ont pu rendre à la
jurisprudence progressive. Leur emploi est d'autant plus tentant, qu'ils paraissent
donner aux solutions désirables l'appui solide de la loi écrite, et qu'ainsi l'on fait
servir au succès d'idées nouvelles, avec toute l'énergie que lui vaut son origine, le
vieux matériel législatif, trop souvent placé sur notre route pour entraver toute
marche en avant. - Mais, en rendant hommage à l'intention qui inspire cette
méthode, je ne puis m'empêcher d'en condamner le principe essentiel et d'en
désapprouver formellement la pratique. - À première vue, et quand on s'en tient
aux données du pur bon sens, on n'aperçoit pas quelle base rationnelle peut rester
à un système d'interprétation de la loi, qui se sert du texte légal, pour justifier tout
autre chose que ce que son auteur a voulu établir. - Car, je veux bien que la loi,
une fois mise en vigueur, se sépare de la personne du législateur. Mais encore,
faut-il reconnaître que celui-ci l'a laissée pleine de sa pensée et de son vouloir, à
moins de voir dans le texte légal une sorte d'outre vide, que chacun remplirait à
son gré78. Autoriser pareille liberté ne tendrait à rien moins qu'à supprimer la
précision et la stabilité, qui constituent le mérite capital, en même temps que
l'avantage saillant de la loi écrite. Et, cela perdu, il resterait, à se demander, quelle
peut être encore l'utilité de cette source formelle, si inférieure à d'autres égards.
- Mais, ce qui est vraiment décisif contre les tendances que je combats ici, c'est
qu'en sacrifiant, comme élément d'interprétation de la loi, la volonté subjective
qui l'a dictée, elles en méconnaissent absolument l'essence et la raison d'être. Ç'a
été la grosse lacune de l'École historique, de négliger, de parti pris et sous l'empire
d'une sorte de déterminisme exclusif, la part incontestable de l'activité consciente
et réfléchie de l'homme dans la formation du droit79. Cette activité se manifeste de
façon tout à fait prépondérante dans la loi écrite. Celle-ci n'est pas autre chose, en
son essence même, que l'expression d'une volonté intelligente80. Et il est contradictoire à sa nature de l'interpréter autrement que comme un acte de volonté. -
Sans doute, une fois entré dans le courant de la vie sociale, cet acte de volonté
subit, comme toute entité organique et vivante, le contact et l'influence du milieu
ambiant. Il se modifie avec celui-ci. À mesure qu'il s'éloigne de son origine, le
texte légal perd de sa vertu première, se dégrade peu à peu par l'usage, et peut
suivant moi, à donner à la loi le sens qui, eu égard à l'état actuel des mœurs et des besoins du pays,
tend à rendre les citoyens meilleurs ou plus heureux. - Tontes les ressources de l'argumentation et de
l'interprétation juridique doivent avoir cet objet. » [- Et, sur les systèmes, récemment développés, de
l'assouplissement des textes, en considération de leur évolution historique, ou de l'interprétation purement sociologique du droit, voy. ci-dessous : Épilogue, chapitre premier, n° 191. Adde : F. Ferrara
(Potere del legislatore e funzione del giudice), dans Rivista di diritto civile, 1911, t. III, p. 501-516, qui
montre tout ce qu'ne interprétation, sagace et judicieuse àk la fois, peut tirer du point de vue de révolution de la loi].
78. Comp. F. Regelsberger, Pandekten, § 35, note 10 b, t. I, 1893, p. 143.
79. Comp. H. Dernburg, Pandekten, § 17, in fine, t. I5, 1896, p. 38. - P. Lombard, Discours sur le
Code civil allemand. Séance d'inauguration de l'Université de Nancy, le 19 novembre 1896, Nancy, 1897,
p. 24. - Une erreur analogue, en matière de formation du langage, a été relevée, dans les théories linguistiques en vogue, par M. Bréal, Essai de Sémantique, Paris, 1897, p. 7-8, p. 277-279, p. 337-339.
80. Voy. F. Suarez, S. J., Tractatus de legibus et legislatore Deo, lib. I, cap. IV, §§ 6-7 et cap. V. Utrum
lex sit actus intellectus vel voluntatis, et quisnam ille sit. Adde lib. III, cap. XX. - Portalis, Exposé des
motifs du titre préliminaire du Code civil : « ... Les lois sont des volontés... » Fenet, t. VI, p. 43.
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