Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1 - 34

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MÉTHODE D'INTERPRÉTATION ET SOURCES EN DROIT PRIVÉ POSITIF

de ceux que nous ont transmis les jurisconsultes romains3, et d'où l'on a tiré un
grand nombre d'adages, ou brocards, qui se répètent encore4. Hors de là, c'est-àdire pour la plus grande partie du droit privé, le juriste, astreint seulement à suivre
la coutume, l'interprétant à la lumière de la raison, et contribuant lui-même à la
former, ainsi qu'il convient à cette source essentiellement mobile et progressive,
autorisé en outre à chercher ses précédents dans l'énorme dépôt des autorités
antérieures, jouissait, par la nécessité des choses, d'une grande latitude de doctrine, comme c'est le cas aujourd'hui encore en Angleterre, et comme il en fut
même aussi, jusqu'à l'entrée en vigueur du nouveau Code civil, dans une grande
partie de l'Allemagne.
9. Mais, en France, est survenue la codification du commencement de ce
siècle, avec l'étendue et la portée que l'on sait, dans le vaste domaine du droit
privé. En un petit nombre d'années, toutes les lois, toutes les coutumes, toutes les
traditions antérieures, tous les précédents de notre jurisprudence civile et commerciale ont été, par une sorte de tour de force social, fondus et coulés dans un
moule, d'où ils sont sortis rajeunis et transformés en formules législatives, tranchantes, précises, s'imposant avec la force et l'absolu de dogmes juridiques.
Or, ce phénomène de la codification, qui, en soi, et en dehors de l'unification
qu'il consommait dans la législation de la France, n'apparaît pas comme autre
chose qu'une opération de pure forme, de simplification et de classement, me semble
avoir eu une influence décisive sur notre méthode d'interprétation juridique.
Je suis loin de penser pourtant que cette importance excessive, attachée à la
codification, ait été dans l'intention et dans les visées de ses auteurs ; je n'entends
pas dire de Napoléon, dont la pensée, aveuglément autoritaire et dominatrice, se
traduit tout entière dans la boutade orgueilleuse qu'on lui prêle, au moment de
l'apparition du premier commentaire du Code civil : « Mon code est perdu » ;
mais bien de ses conseillers les plus avisés, de ceux même qui avaient réellement
élaboré l'œuvre. Je montrerai plus loin (n° 47-49), qu'aux yeux de ceux-ci, la mise
en vigueur des codes laissait intacte, dans ce qu'elle avait de vraiment essentiel, la
liberté de l'interprétation juridique.
Et, le même sentiment persista, fort énergique, chez les premiers commentateurs du Code civil, qui, formés à l'étude de la jurisprudence sous un régime antérieur à la codification, ne pouvaient facilement concevoir que la promulgation
d'une loi civile générale eût coupé les ailes au progrès doctrinal ou judiciaire du
droit appliqué5. Cette tendance s'observe, non seulement chez Merlin6, qui nous
donne, pour ainsi dire, le pont entre le nouveau droit et l'ancien, mais chez les
premiers commentateurs, notamment Proudhon et Duranton, même encore
3. Dig. De Legibus Senalusqueconsultis et longa consuetudine, 1, 3, passim.
4. Voy. par ex. F. Mourlon, Répétitions écrites sur le Code civil, 10e édition, t. I, n° 88, p. 62-64.
5. Comp. Savigny, Vom Beruf unsrer Zeit für Gesetzgebung und Rechtswissenschaft, 3e éd. 1840,
p. 140, in fine. - Adde : F. Larnaude, dans : Revue critique de législation et de jurisprudence, 1890,
nouv. série, t. XIX, p. 373.
6. Je n'ignore pas que l'opinion courante représente Merlin comme étroitement légiste. Voy.
notamment : Mémoires du chancelier Pasquier, t. I, p. 267-268. « ... Je n'ai jamais connu un homme qui
eût moins le sentiment du juste et de l'injuste. Tout lui semblait bon et bien, pourvu que ce fût une
conséquence d'un texte de loi ». Mais la sincérité m'oblige à dire que la fréquentation des œuvres de
ce jurisconsulte m'en laisse une impression toute différente. On y trouve la marque d'un juriste solide,
mais non pas étroit. Et, s'il n'a pas toutes les audaces de Dumoulin, il sait pourtant, à son exemple,
faire progresser le droit en dehors de l'action législative.
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