Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 1 - 60

MÉTHODE D'INTERPRÉTATION ET SOURCES EN DROIT PRIVÉ POSITIF

ne me paraîtraient pas pouvoir être sérieusement désavouées par nos juristes les
plus convaincus. - Et notamment, quand il laisse très finement entendre que la
codification moderne a notablement restreint la mission du jurisconsulte, Boutmy
se rencontre absolument avec F. Laurent, qui signale, non sans insistance, la
transformation ainsi opérée, et en accepte, d'un cœur léger, toutes les conséquences. « ... La mission des interprètes, sous nos codes », conclut à ce sujet Laurent, « est donc plus modeste qu'elle ne l'était jadis. Ils ne se rendent pas toujours
compte de cette profonde révolution. Quand ils voient les jurisconsultes romains
manier librement les principes, sans autre guide, sans autre lien, que la raison ou
la conscience générale, ils sont tentés d'imiter leur exemple. Ils sont encore tentés
de faire ce que faisait Pothier. C'est un écueil contre lequel nous devons nous
tenir en garde. Nous n'avons pas le droit d'innover ; il ne nous est pas permis de
corriger, de perfectionner nos codes. Est-ce à dire que notre position soit amoindrie ? Est-ce à dire que le droit codifié soit condamné à l'immobilité ? Non, l'interprète peut et doit signaler les lacunes, les imperfections, les défauts de la législation qu'il est appelé à expliquer. Et ces travaux préparent le progrès que le législateur a pour mission de réaliser »7.
Dans une étude récente8, E. Roguin semble aller plus loin. Il estime que le
rôle actuel du juriste n'est pas encore assez réduit, et il aspire vers un idéal de
codification, qui rendrait à peu près inutile même la simple interprétation de la
loi. Dès à présent, et sous l'empire de nos codes, sa pensée bien nette est que la
mission du jurisconsulte doit se borner à rechercher, par tous moyens, l'intention
des auteurs de la loi, en se gardant d'y rien ajouter de son propre fonds. Et le sentiment total de cet auteur, exprimant à l'excès la tendance, que je constate ici, se
trouve nettement résumé dans cette formule, que je lui emprunte : « Qui dit codification dit adoption du principe fondamental, que le droit de faire la loi appartient exclusivement au législateur, c'est-à-dire que, devant les volontés exprimées dans son œuvre, soit la jurisprudence des tribunaux, soit la science des
auteurs perdent absolument leur indépendance, au point de vue de la signification
du droit positif, bien que conservant une liberté absolue, illimitée, sous le rapport
critique, c'est-à-dire de l'appréciation du même droit »9.
30. Or, c'est précisément l'absolu de semblables idées, ce sont surtout les exagérations, auxquelles elles ont conduit notre dogmatique, que je voudrais combattre.
Aussi, après avoir analysé les procédés de la méthode juridique traditionnelle,
après avoir cherché à dégager ses caractères essentiels, me sera-t-il permis, je
pense, d'envisager cette méthode d'un œil critique, et, sans en méconnaître les
mérites, sans nier ce qu'elle contient de nécessaire ou de précieux à conserver, de
rechercher pourtant les redressements et les compléments qu'elle demande.

7. F. Laurent, Principes de droit civil, Introduction, n° 20, t. I, 1869, p. 42-43. - Voy. au surplus
tout ce n° 20. - Adde, sur le pouvoir plus large des anciens jurisconsultes : Lainé, Introduction au
droit international privé, t. II, 1892, p. 15 et p. 92-93.
8. Observations sur la codification des lois civiles, dans le Recueil publié par la Faculté de droit de
l'Université de Lausanne, à l'occasion de l'Exposition nationale suisse, 1896, p. 73-134. - Voy. surtout,
sous le rapport actuel, les p. 75-100, et, plus spécialement encore, les p. 75-80.
9. E. Roguin, loc. cit., p. 75. - Les passages, soulignés au texte, l'ont été, d'après l'auteur
lui-même.

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