Bibliothèque de sciences criminelles - La constitutionnalisation du droit pénal -1 - 32

LA CONSTITUTIONNALISATION DU DROIT PÉNAL

et des libertés fondamentales. C'est dire que son contenu n'est pas véritablement
dépassé aujourd'hui, ou bien qu'il était précurseur à l'époque, ou bien encore que
les préoccupations politiques et sociales n'ont pas beaucoup varié en deux cents
ans. D'un point de vue plus juridique, nous nous rangerons à l'analyse menée par
M. Troper dans son ouvrage intitulé « Pour une théorie juridique de l'État ». La
Déclaration « peut être comprise ou bien comme l'expression de la volonté des
membres de l'Assemblée nationale de 1789 ou bien comme une déclaration de
droits naturels, que l'homme possède par essence et qui préexistent par conséquent
à leur constatation. La première conception est dite positiviste, la seconde jusnaturaliste. (...) Si l'on adopte la première conception (...), la justification du contrôle
est faible : comment comprendre que nous soyons soumis à la volonté d'hommes
morts depuis si longtemps ? Si l'on juge au contraire que ce document présente
le caractère d'une déclaration de droit naturel, les dispositions qu'il contient sont
obligatoires non pas parce qu'elles ont été adoptées par l'Assemblée constituante
en 1789, mais parce que les droits qu'elle énumère existent objectivement. (...) La
justification du contrôle est forte : il impose la soumission du législateur actuel
non à une volonté historique et contingente, mais à une vérité éternelle »33. Et
si l'on retient cette seconde conception, « l'interprétation (des dispositions de la
Déclaration) peut être très libre. Le constituant a constaté et énoncé ces droits
du mieux qu'il a pu, mais il a été nécessairement limité par les ambiguïtés et les
imprécisions du langage. Il appartient donc à chacun de découvrir les droits naturels à l'aide de sa propre raison. (...) L'autorité chargée de veiller au respect des
droits naturels de l'homme peut légitimement les rechercher directement, par-delà
les finesses et maladresses du texte »34. La décision du 16 juillet 1971 s'inscrit dans
le cadre de cette seconde conception.
20. La décision du 16 juillet 1971 a permis de rapprocher notre norme
suprême et notre justice constitutionnelle de celles des autres pays européens,
et de faire correspondre l'organisation étatique française au modèle de l'État de
droit. En outre, elle marque la seconde rencontre du droit pénal et de la Constitution, rencontre qui se soldera quant à elle par une véritable confrontation de
ces deux grands symboles du droit. Le droit pénal doit respecter les droits et
libertés garantis par la Constitution, essentiellement ceux énoncés dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il est soumis à la norme
suprême et est amené à trouver dans la Constitution les garanties qu'il réclame
et les limites de la contrainte qu'il représente. Le pouvoir de répression de l'État
est concrètement encadré tant d'un point de vue formel que d'un point de vue
matériel. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui avait été, à la
fin du XVIIIe siècle, l'occasion d'une rencontre inaboutie entre le droit pénal et la
Constitution, devient, au milieu du XXe siècle le seuil d'une rencontre fructueuse
entre la matière pénale et la norme suprême.
Pour autant, ce qui semblait être un aboutissement en 1971 allait se révéler
n'être qu'une étape dans le souci d'encadrer le pouvoir de l'État, en particulier son
pouvoir de répression, et de rechercher l'équilibre du droit pénal, en en faisant un
droit de contrainte nécessaire et raisonnable, exclusif de toute contrainte arbitraire
et excessive. La décision du 16 juillet 1971 allait même devenir le point de départ de
ce que l'on nomme aujourd'hui « la constitutionnalisation du droit pénal ».
33. Michlel Troper, Pour une théorie juridique de l'État, PUf, Léviathan, 1994.
34. Ibid.

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