Bibliothèque de sciences criminelles - La constitutionnalisation du droit pénal -1 - 77

LA PArTICIPATION DE L'AUTOrITÉ NOrMATIVE AU CONTrÔLE DE CONSTITUTIONNALITÉ

lui le lieu du deuil des victimes, le passage nécessaire pour apaiser ses rancœurs
et ses passions, comme si le procès pénal était tourné vers elle, était consacré à la
réparation du préjudice subi par elle et à la sanction qu'elle désire voir prononcer
à l'encontre de l'auteur de l'infraction, sanction qui, dès lors, s'apparente plus à
de la vengeance. Le droit pénal devient un droit des victimes, le plus souvent au
mépris des règles qui gouvernent le procès pénal. « Il ne s'agit plus de droit, mais
d'émotions, d'avis personnels, d'expertise spontanée des vrais gens... »71. Or, ces
préoccupations ne sont pas celles du droit pénal. Elles ne l'étaient pas en 1789,
d'où l'absence des droits des victimes dans la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen. Elles ne l'étaient pas en 1958, d'où l'attitude du Conseil constitutionnel à leur égard. Et elles ne devraient pas l'être aujourd'hui. Dans son essence,
le droit pénal est un droit « social », non un droit privé. Il oppose la société toute
entière atteinte dans ses valeurs à la personne poursuivie. Il organise la réponse de
la société contre l'atteinte qui lui a été portée par l'un de ses membres. La victime
n'est pas censée être une partie au procès pénal. Elle est partie au procès civil,
l'opposant à l'auteur de l'infraction et lui permettant d'obtenir réparation pour
le dommage subi du fait de l'infraction. En revanche, le procès pénal oppose la
personne poursuivie au Ministère public, composé de magistrats professionnels
représentant la société, et maître de l'exercice de l'action publique permettant
d'obtenir la condamnation de l'individu, notamment à titre de sanction pour
l'atteinte subie par la société.
C'est bien ici toute la philosophie première du droit pénal qui est en
cause, son essence même, sa raison d'être. Il ne s'agit pas de nier la nécessité
et l'utilité de la présence de la victime au cours du procès pénal. Elle ne peut
décemment être ignorée de la procédure qui revêt pour elle une importance
capitale puisqu'elle est, dans les faits, la première concernée, mais, surtout,
elle ne doit pas être ignorée de cette procédure puisqu'elle lui est utile. Elle
est, en effet, susceptible d'apporter différents éléments pour faire jour sur la
réalité et les circonstances de la commission de l'infraction. Et la possibilité
pour la victime de déclencher l'action publique évite que ce pouvoir ne soit
placé exclusivement entre les mains du procureur et permet ainsi de multiplier
les chances de voir la justice pénale rendue et les infractions réprimées. Mais,
faire de la victime une partie à part entière du procès, à égalité du Ministère
public et de la personne poursuivie, revient à nier l'essence même et la raison
d'être du droit pénal. Si la victime peut et doit intervenir dans le procès pénal,
ce ne peut être que dans une mesure limitée et strictement contrôlée de façon à
ne pas remettre en cause la raison d'être du droit pénal qui est, avant tout, un
droit « social ». Prétendre le contraire comporte des risques de dérive, comme
ont pu le démontrer certaines grandes affaires médiatisées. Le risque est que
la justice cherche à atteindre un but précis, la satisfaction des victimes et de
l'opinion publique, au mépris des règles et des principes fondamentaux régissant la procédure pénale, en tête le principe de la présomption d'innocence, à
défaut de quoi naît au sein de l'opinion publique une perte de confiance en la
justice. En outre, ce serait un leurre que de prétendre que le droit pénal peut
avoir cette vocation, tant il faut reconnaître que celui-ci est dépassé par les
passions humaines et qu'il ne peut atteindre les cœurs et les esprits.
71. Coralie Ambroise-Castérot, Le procès pénal, entre mythe et réalité, LPA, 12/07/2007, n° 139,
page 22.

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