Bibliothèque de sciences criminelles - La constitutionnalisation du droit pénal -1 - 98

82

LA CONSTITUTIONNALISATION DU DROIT PÉNAL

d'interprétation. Le législateur peut prévoir des règles spéciales restreignant les
droits constitutionnellement garantis à condition notamment que ces restrictions
soient nécessaires à la manifestation de la vérité et proportionnées à la gravité et
à la complexité des infractions commises. Le vol commis en bande organisée ne
présente pas automatiquement, en soi, une gravité suffisante permettant de justifier les règles spéciales instaurées. Il y a donc disproportion entre la rigueur de
ces règles spéciales qui apportent des restrictions aux droits constitutionnellement
garantis et la gravité insuffisante de l'infraction. Il en va de même pour l'aide au
séjour irrégulier d'un étranger en france lorsqu'il est commis par un organisme
humanitaire.
Un autre exemple plus récent d'une réserve d'interprétation normative
négative est issu de la décision du 21 février 2008 concernant la loi relative à la
rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de
trouble mental23. À l'origine, il était prévu qu'une telle déclaration d'irresponsabilité pénale devait être inscrite, dans tous les cas, au bulletin n° 1 du casier
judiciaire, ainsi qu'au bulletin n° 2 lorsque des mesures de sûreté de l'article 706136 du code de procédure pénale24 avaient été prononcées et tant que celles-ci
n'avaient pas cessé. Le bulletin n° 1 est accessible aux seules autorités judiciaires
et le bulletin n° 2 est accessible aux administrations. Autrement dit, l'inscription de la décision d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental au
bulletin n° 1, que des mesures de sûreté aient ou non été prononcées, permettait que cette décision soit portée à la connaissance du juge pour apprécier la
responsabilité pénale de la personne dans le cadre de poursuites ultérieures. Or,
le Conseil a considéré que cette information, lorsqu'aucune mesure de sûreté
n'a été prononcée, n'était pas nécessaire et qu'elle portait donc « une atteinte
non nécessaire à la protection de la vie privée qu'implique l'article 2 de la Déclaration de 1789 ». Il en a donc conclu que la décision d'irresponsabilité pénale
pour cause de trouble mental ne pouvait être inscrite au bulletin n° 1, comme
au bulletin n° 2, que lorsque des mesures de sûreté ont été prononcées et tant
qu'elles n'ont pas cessé leurs effets. Ce n'est que « sous cette réserve » que les
dispositions en cause ont été déclarées conformes à la Constitution. Alors que
la loi prévoyait l'inscription de la décision au bulletin n° 1, sans condition, et
au bulletin n° 2, sous certaines conditions, le Conseil a considéré que le régime
de l'inscription au bulletin n° 2 devait être également appliqué au bulletin n° 1.
Cette modification est nécessairement plus favorable à la personne ayant fait
l'objet de la décision, puisque la déclaration d'irresponsabilité pénale, qui porte
en elle les traces de l'existence de poursuites contre cette personne, ne pourra
pas être utilisée dans le cadre de poursuites ultérieures.
23. Cons. const. 21/02/2008 (n° 2008-562 DC), Recueil page 89, JO du 26/02/2008, page 3272.
24. Article 706-136 alinéa 1 du code de procédure pénale : « Lorsque la chambre de l'instruction
ou une juridiction de jugement prononce un arrêt ou un jugement de déclaration d'irresponsabilité
pénale pour cause de trouble mental, elle peut ordonner à l'encontre de la personne les mesures de
sûreté suivantes (...) : 1o Interdiction d'entrer en relation avec la victime de l'infraction ou certaines
personnes ou catégories de personnes, et notamment les mineurs, spécialement désignées ; 2o Interdiction de paraître dans tout lieu spécialement désigné ; 3o Interdiction de détenir ou de porter une
arme ; 4o Interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole spécialement désignée, dans
l'exercice de laquelle ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise ou impliquant un contact
habituel avec les mineurs, sans faire préalablement l'objet d'un examen psychiatrique déclarant la
personne apte à exercer cette activité ; 5o Suspension du permis de conduire ; 6o Annulation du permis
de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau permis ».
Bibliothèque de sciences criminelles - La constitutionnalisation du droit pénal -1

Table des matières de la publication Bibliothèque de sciences criminelles - La constitutionnalisation du droit pénal -1
