Droit des affaires - Stratégie et management des cabinets d'avocats -1 - 16

Stratégie et management des cabinets d'avocats

du Conseil sont issus de leur rang. Lucien Karpik explique ce phénomène par quatre
raisons : l'importance du judiciaire, les relations sociales que les avocats ont su tisser,
le pouvoir du verbe (politique et judiciaire) et le statut du droit dans la société2.
Le dernier facteur est essentiel pour expliquer le déclin progressif de l'avocat
à partir des années 1920. La Grande Guerre sonne la gloire du capitalisme anglosaxon ; les avocats ne connaissent rien à l'économie et se préoccupent peu de leur
lien avec les entreprises. La Seconde Guerre mondiale leur porte un nouveau coup
avec l'arrivée des technocrates de l'État. L'internationalisation des grandes entreprises va achever de marginaliser les avocats, y compris au profit de leurs confrères
anglo-saxons. Les conseils juridiques et les big 4 s'engouffrent dans le vide laissé
par les avocats et la fusion entre les deux professions va donner lieu à une lente
adaptation. En fait, le barreau a mis des années à constater le changement et à accepter
le « barreau des affaires » en son sein. Ajoutons à cela une culture de « désintéressement » lié au rôle politique historique de la profession et aux origines kantiennes
du droit civil3, sources d'un penchant marqué contre la culture d'entreprise. Un mal
français ? Beaucoup de pays de tradition civile ont connu de semblables méandres.
Eu égard à cette évolution, radicalement différente de celle des entreprises
commerciales, rapprocher les concepts d'entreprise et de cabinet d'avocats est donc
un exercice aussi récent que délicat. Il a permis aux auteurs de ce livre de mettre en
exergue l'originalité de la situation des cabinets d'avocats et les opportunités qu'ils
offrent à tous ceux qui travaillent en leur sein.
Ce livre est bâti autour d'une proposition simple : une pluralité d'associés, ayant
la volonté de partager leurs talents (on parlera bientôt de leadership), donnent un
sens à leur activité (stratégie), organisent ces talents (gouvernance, management et
ressources humaines) au service des relations avec leurs clients (clients et services)
pour faire connaître leur entreprise en conséquence (communication et réputation),
permettant ainsi de la rendre pérenne au-delà de ses membres. À ce stade, il est
important d'insister sur la volonté de pérennité. Sans elle, une grande partie des
analyses qui suivent est superflue. En effet la pérennité fait naître, ou accentue, un
besoin de vision, de cohérence et de cohésion qui existe moins dans une structure qui
n'a qu'un temps, fut-il celui d'une vie. Les cabinets « à durée déterminée » s'apparentent à des structures artisanales, qui ne sont pas l'objet de ce livre.

2. L. KarpiK, préc., p. 133
3. L. KarpiK, préc., p. 211 et s. Lucien Karpik aurait pu opposer ce désintéressement aux abeilles
anglaises décrites par Bernard Maleville dans sa « Fable des abeilles » (1704), un texte où l'on retrouve
- déjà - les avocats de la City et dont on recommandera la lecture !

Droit des affaires - Stratégie et management des cabinets d'avocats -1

Table des matières de la publication Droit des affaires - Stratégie et management des cabinets d'avocats -1